À chaque mort de pape

par | 15 Avr 2025

L’information est cyclique : un con chasse l’autre, une crise économique rappelle une autre crise économique ; et après 19 ans de chronique satirique au sein d’un journal qui fermera ses portes en juin 2025, je peux le dire : au bout de quelques années à parler d’actualité, il suffirait presque de changer les noms, vaguement le contexte, et vous pourriez parler de tout sans trop vous creuser la tête. Le présent n’est qu’un marronnier.

Mais voilà, il me manque un sujet. À l’instar du Nombril des femmes d’agents de Brassens, si j’ai pu chroniquer un printemps arabe, une pandémie mondiale, une guerre en Europe, la mort de Castro et celle de la reine d’Angleterre… c’est triste, mais il me manque celle d’un pape. Le dernier est mort il y a 20 ans, mon journal n’en a que 19.
Certes, j’ai pu chroniquer la démission d’un pape mais c’est un regret, une convoitise, un Graal, de n’avoir pas pu écrire une chronique pour dire qu’enfin on sait quand tombe l’expression « ça n’arrive qu’à chaque mort de pape », équivalent impie de la semaine des quatre jeudis.

Vous allez me dire que, vu l’état du gros pape François, ça ne va pas tarder, mais je vous rappelle qu’on s’est dit ça de Jean-Paul bis pendant plus de vingt ans ! Et je ne peux pas prendre le risque de voir crever la vieille mitre de la place Saint-Pierre juste après Le Coq des Bruyères. Bref, je mets fin à mon pénible supplice, voici la nécrologie du pape :

Chers lecteurs, comme vous ne pouvez pas l’ignorer puisque tous les médias du monde en parlent en boucle : le pape est mort. Depuis quelques jours, il est exposé à la vue du public pour un dernier hommage lacrymal général. Ce pape – comme tous les autres, d’ailleurs – prenait tellement de plaisir à trouver quelques lépreux à laver pour Noël qu’on devrait bazarder sa dépouille dans une fosse commune. Quand on aime autant serrer des mains, il serait dommage de ne pas faire de celles des autres son joli cercueil.

Avant que les yeux de la planète bigote ne cherchent une fumée blanche pour savoir si ceux qui pariaient sur l’origine et la couleur du prochain locataire en viager du Vatican ont eu raison, prenons quelques instants pour méditer sur l’expression « à chaque mort de pape », ou, comme on le dit à Rome : Ogni morte di papa.
Si d’autres penseurs se sont déjà demandé si on allait plus vite « à fond les ballons » que « pied au plancher », il nous incombe de méditer sur ce qui se passe lors d’une mort de pape. Eh bien, c’est sans appel : à chaque mort de pape, on comprend que les gens font semblant de croire en Dieu.

Regardez le visage de ceux qui croient en Dieu : il est en larmes. Est-ce vraiment logique de pleurer un vieil homme qui souffrait terriblement de la maladie, et qui, aujourd’hui, est censé se retrouver au Paradis ? Non, bien sûr que non.
Imaginons qu’un bon ami ou une chère amie vous dise : « J’ai gagné au loto, et je pars vivre sur une île paradisiaque. Mais ne t’inquiète pas, quand tu gagneras toi aussi, on se retrouvera avec joie ! » Eh bien, vous le ou la félicitez, vous dites que c’est génial, et vous lui souhaitez de profiter à fond, en lui disant au revoir. Mieux qu’un fantasme d’une vie après la loterie : le Paradis pour l’éternité, c’est encore plus merveilleux !

Mais non, au lieu de ça, les croyants chouinent la mort du pape et celle de leurs proches comme si le ciel était vide. Est-ce un doute, ou la preuve qu’inconsciemment, nous sommes tous athées ?
N’y a-t-il pas que les paralytiques à la moelle épinière intacte qui vont à Lourdes en roulant pour espérer en repartir en marchant ? Un manchot ne s’attend pas à voir son membre repousser, il sait que les « miracles » n’ont jamais rien de bien miraculeux.
Quand un terroriste islamiste brandit la photo d’un autre terroriste en hurlant de douleur, en pleurant et en vociférant parce que ce dernier a été abattu avant qu’il ne commette d’autres attentats… est-ce là la réaction supposée d’une personne persuadée que son copain est en train de boire le thé avec Allah, entouré de dizaines de vierges ? Pauvres femmes, d’ailleurs, dont on peut supposer que, pour elles, l’éternité n’est que souffrance. Le paradis des uns est un enfer pour les autres.

Qu’importe la divinité ou le nom d’une religion, les croyants sont les mêmes : ils sont horrifiés par leur propre doute. C’est pour cela qu’ils redoublent de prières à la mort d’un être cher. La tristesse qu’ils ressentent, ce chagrin profond lors d’un deuil, c’est la certitude (bien dissimulée sous une épaisse couche de déni) qu’il n’y a pas de Dieu. Et qu’après la vie, c’est fini.
Ainsi, il n’y a rien de mieux à faire que de vivre heureux en attendant la mort, qui, pour les moins chanceux d’entre nous, arrive plus vite qu’une mort de pape.

© Reiser, Charlie hebdo n°72, 3 avril 1972.

Par Anthony Casanova

Par Anthony Casanova

Anthony Casanova est le directeur de publication et le rédacteur en chef du journal satirique Le Coq des Bruyères.
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