Est-ce ainsi que les hommes meurent

par | 17 Mar 2020

Anthony CASANOVA est politiquement correct

Las de regarder un monde s’en allant toujours à vau-l’eau, le fin philosophe de comptoir avait l’habitude de conclure son analyse pessimiste de la société par un laconique: «ce qu’il nous faudrait c’est une bonne guerre». Selon le principe proverbial «après la pluie, le beau temps», on espère toujours qu’en vivant un drame nous finirons par en tirer les leçons qui s’imposaient. Eh bien la voici cette fameuse guerre. Sans treillis, sans bombe nucléaire, notre humanité tremble devant un microbe.
Quand on pense à la mort, quand on pense à la fin, on se rabat sur l’essentiel: des pâtes et du papier toilette. Bref, la fin du monde est à notre image… grotesque.

Ceci dit, que l’on finisse par dire dans un mois ou deux que l’inquiétude était disproportionnée ou que l’on en soit à compter les morts par millions: cette ambiance apocalyptique est passionnante car nous assistons au spectacle ahurissant de l’humanité qui prend soudainement conscience de sa mortalité.

Ainsi, nous qui rêvons de voir un vaccin ou un traitement inventé dès demain, nous qui espérons pouvoir être soignés correctement, manger à notre faim, on se retrouve à comprendre que seuls les chercheurs, les professionnels de santé, les enseignants et les agriculteurs ont des boulots qui sont essentiels dans nos pays. Quatre secteurs qui sont méprisés les jours sans apocalypse, c’est-à-dire tout le temps. Alors, une fois l’apocalypse terminée, allons-nous revaloriser ces métiers? Allons-nous leur donner plus de moyens pour tenir ce rôle primordial à notre survie? Non, bien sûr que non. Ils retrouveront le même mépris et les mêmes coupes budgétaires… parce qu’après la pluie, la boue.

Nous avons tous, dans notre grande majorité, des professions totalement dispensables au besoin de l’humanité. Et, dans cette ambiance anxiogène où l’on a l’impression que la mort rôde dans chaque embrassade, ça nous permet de répondre concrètement à la question philosophique: «si nous savions à quel point la vie est courte, aurions-nous vraiment le cœur à gagner notre vie en perdant notre temps?» Eh ben apparemment non. hormis nos besoins de payer notre loyer et d’acheter à bouffer, nous n’avons réellement besoin de rien. C’en est presque un plébiscite inconscient pour la semaine de travail de 24 heures et la mise en place du revenu universel. «Travailler plus pour gagner plus» apparaît ces jours-ci d’une connerie abyssale… «travailler moins pour vivre bien» semblerait être la solution la plus naturelle.

Loin des extravagantes possibilités imaginées dans les récits de science-fiction, nos réactions à cette fin du monde qui, telle la guerre de Troie, n’aura pas lieu laissent perplexes. Trouillards, faisant des provisions comme si nous nous apprêtions à repousser le plus possible (mais avec le ventre plein) une extinction certaine, nous cheminons apeurés vers une fin de vie 2.0 en ayant l’ordre d’attendre notre mort ou celle des autres en compagnie de Netflix, Facebook, Twitter, Instagram, Google et Snapchat.

Point d’ultime orgie, nulle dernière rigolade, aucune cuite finale… oh non mais, en revanche, nous devons subir les oraisons des boy-scouts sur les réseaux sociaux et -sous peine d’amende- être obéissants, avoir un laissez-passer et sagement éternuer dans notre coude.

Puisque je compte bien ne pas respecter le «couvre-feu», je conclue en pastichant Aragon

Est-ce ainsi que les hommes meurent
Et leurs baisers au loin les écœurent
Comme des soleils révolus

Par Anthony Casanova

Par Anthony Casanova

Anthony Casanova est le directeur de publication et le rédacteur en chef du journal satirique Le Coq des Bruyères.
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