Débutons par ce vieil exercice consistant à sortir une phrase de son contexte pour lui faire dire ce que l’on souhaite: «si jamais la nostalgie te prend, tu peux toujours imaginer le pire (Léo Ferré)».
En ces temps obscures qui marchent au pas, nous serions enclins à nous demander si les peuples vivant en démocratie ne seraient pas nostalgiques des régimes totalitaires passés? Et, si l’on est sujet au pessimisme, de craindre que la démocratie ne soit que le plus court chemin vers la dystopie. Vous savez, la dystopie, cette version cauchemardesque de l’utopie. Eh bien au commencement, on pense qu’en construisant une société où tous les hommes naissent libres et égaux en droit, où une voix égale une voix, cela aboutira au meilleur des mondes mais, allez comprendre, il semblerait que ces hommes et ces femmes, qui naissent libres et égaux, finissent par voter pour ceux qui les priveront de liberté.
Clin d’œil à la version cinématographique de Terry Gilliam, Brazil, inspirée du roman 1984 de George Orwell, le peuple brésilien vient d’élire à sa tête son futur bourreau. Loin de nos poncifs exotiques mêlant carnaval, samba et football, l’élection de Jair Bolsonaro nous renvoie à l’histoire sombre du Brésil. Le Brésil qui fut l’un des derniers états esclavagistes du monde, et dont la nouvelle démocratie n’avait que 33 ans, vient de confirmer d’autres clichés: ceux d’une société brésilienne ouvertement raciste, homophobe, sectaire et sexiste. En démocratie tout est possible même le pire comme, par exemple, mettre au pouvoir Monsieur Bolsonaro, un homme ayant autant de vocabulaire qu’un adolescent en situation d’échec scolaire, et qui a fait de son incompétence généralisée, saupoudrée d’évangélisme, sa principale compétence.
Le Brésil pour la France, tel le titre 1984 en 1949 (année de la parution du roman d’Orwell) c’est loin. On se dit même que c’est tellement loin qu’il serait inimaginable qu’une telle chose se produise chez nous. Mais ce recul voire cette distance avec laquelle nous analysons les situations politiques à l’étranger est une illusion d’optique. Nous, Français, aurions fait barrage à Donald Trump ou à Viktor Orbán. Nous, gens de gauche, aurions fait barrage à Jair Bolsonaro. Nous, nous aurions toujours tendance à faire moins de connerie si l’on agissait à la place des autres. Mais l’élection de Bolsonaro n’était pas une fatalité. Il a été élu par 55,13% des suffrages exprimés, et entre l’abstention, les votes nuls et les votes blancs ce sont plus de 42 millions de brésiliens qui n’ont pas voulu faire «barrage» à Bolsonaro.
Rappelons, à ceux qui auraient la «pudeur» de l’oublier, qu’en France, aux dernières élections présidentielles, les braves camarades de la France Insoumise ont rechigné à faire barrage à l’extrême droite qui poirotait devant notre porte. Que demain ou après demain, c’est à parier, nous aussi nous finirons par avoir un ersatz de Bolsonaro, issu ou non de la famille Le Pen, qui finira bien par gagner puisque nous mettons tant d’efforts à ne pas vouloir que l’extrême droite perde.
Le thème musical du film Brazil est Aquarela do Brasil, chanson mélancolique composée par Ary Barroso lors d’une nuit orageuse. Les démocraties vacillent à travers le monde mais, naïvement, on s’en imagine à l’abri, toujours mieux lotis que les autres. On regarde par la fenêtre ouverte tomber la pluie sans s’apercevoir que notre maison prend l’eau.
par Anthony Casanova
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