Changement de cap

par | 4 Fév 2020

NAQDIMON fait son malin

Faudrait pas vieillir. Oui, je sais, je le dis souvent, ce qui démontre bien que cette assertion est vraie et fondée, vu que j’ai vieilli et que je me répète. On appelle ça une démonstration par l’exemple. Tiens, moi qui vous cause toutes les semaines de mes petites humeurs, souvent mauvaises, faut reconnaître, pas plus tard qu’il y a deux jours, j’ai eu un choc. Enfin, un choc, n’exagérons rien, disons un genre de hoquet de surprise.

Je vous raconte.

Pour des raisons professionnelles, je suis allé au Festival de la BD d’Angoulême, charmante bourgade charentaise qui grimpe comme un col du Tour de France et où quand il ne pleut pas, c’est qu’il bruine. Bref, j’y ai fait des kilomètres, sous la flotte et en me ruinant les adducteurs, c’est vraiment plus de mon âge ce genre de truc. Mais, l’avantage, c’est que j’y ai rencontré des partenaires potentiels et qu’en plus, j’y ai vu deux ou trois expo intéressantes, donc, je ne me plains pas. Pas trop, disons. Et puis, cerise sur le gâteau, j’ai profité de cette occasion qui fait le larron, mais pas le lardon pour me faire inviter chez un très vieux pote que je n’avais pas vu depuis moult. En plus, la dernière fois qu’on s’était retrouvé, on chialait comme des madeleines à l’enterrement d’un copain, donc, pas la grande fête.

Là, c’était plus cool, nous avons mangé des burgers et des pizzas avec ses enfants, ingurgité des lamellibranches entre adultes, sifflé quelques bouteilles, et même rigolé comme des bossus – Ah, en passant, je me demande pourquoi les bossus étaient réputés avoir un rire franc et massif. C’est étrange, comme expression. Notez bien, je parie mon salaire annuel du Coq qu’il doit bien se trouver un collectif qui exige le retrait de cette expression ancienne, rapport aux porteurs de gibbosités qui pourraient en être vexés. Mais, bon, ce n’est pas le propos, passons – et parlé de l’air du temps.

Grossière erreur !

Si j’ai connu mon pote jeune, chevelu et plutôt conservateur, le voici quinqua, chauve – ce n’est pas moi qui vais me moquer de ça… – et trèèèès à Gauche. Sic transit gloria mundi, comme disait l’autre. En 20 ou 25 ans, mon camarade est donc passé de ma Droite à mon extrême-Gauche, c’est amusant, comme trajectoire, d’habitude, c’est le contraire, ah là là, on en voit des choses étranges en ce bas monde. Mais ce n’est pas le gauchissement de mon pote qui m’a fait tinter le neurone à choc. Qu’il me considère comme un dangereux libéral social-traître, après tout, pourquoi pas, je le prends bien pour un révolutionnaire en charentaise, ce qui est cohérent dans la région angoumoise, ce n’est pas bien grave. Qu’il me pense défenseur des possédants, moi qui ne dispose même pas d’un compte-épargne de l’Écureuil, c’est plus rigolo qu’insultant. Non, ce qui me gêne, c’est le ton de son discours. Car, qu’on soit en désaccord politique, je trouve ça normal, sain, et même vivifiant, tant pis si le ton monte, ce n’est pas tragique, c’est même l’ADN de la Démocratie. Mais que je sois rejeté dans le camp de méchants, des sournois, des sadiques, ça, ça me navre.

À l’époque où j’ai rencontré le copain en question, nous avions aussi un autre pote, nettement réactionnaire. Et lui me faisait quimper en me disant que je faisais partie du « camp du Bien », en tant que socialiste donneur de leçon. Je râlais comme un perdu, car je détestais et l’expression et l’idée. Pourtant, c’est exactement ce que j’ai ressenti en parlant avec mon vieux camarade, ce week-end, être considéré comme un salaud par quelqu’un qui, lui, sait où se situe le Bien, le Beau, le Vrai. C’est triste, c’est vexant même.

Mais comme je suis un type aimable, je retournerai quand même le voir

Il ouvre très bien les huîtres.

Par Naqdimon Weil

Par Naqdimon Weil

Naqdimon Weil est rédacteur. Il est aussi chroniqueur. Il est surtout social-démocrate universaliste, laïcard et sioniste. Il est gravement quinquagénaire et profondément provincial. Et, évidemment, il est dans le Coq.
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