Charlie Hebdo a 50 ans

par | 1 Déc 2020

Le premier Charlie Hebdo est né d’une censure en 1970; le second d’un licenciement en 1992, et le troisième d’un attentat en 2015. Si on veut être tatillon: Charlie Hebdo a 50 ans mais cela ne fait que quarante années qu’il est disponible dans les kiosques car la première version du journal cessa de paraître, le 11 janvier 1982, car plus personne ne l’achetait. Clin d’œil du temps qui passe, 33 ans jour pour jour, après ce dernier numéro de la première époque, des millions de personnes foulèrent le pavé sous le slogan «Je suis Charlie».
Pour célébrer ce demi-siècle d’existence, les éditions Les Échappés font paraître Charlie Hebdo, 50 ans de liberté d’expression, un très beau livre qui retrace les idées, les combats, les fulgurances et les épreuves qui font l’histoire de ce journal atypique.

En ces temps où les idées universalistes se confrontent aux réflexes communautaires, on remarque que le mot «culture» est souvent employé comme un synonyme de «racine». La «culture» d’une personne serait liée à son lieu de naissance ou à celui de sa famille; la «culture» ne ferait référence qu’aux traditions familiales ou à la religion… mais, jamais, il n’est question de la culture au sens enrichissement personnel à travers les arts.
A titre personnel, je suis né en Corse dans une famille catholique mais si je devais me définir culturellement, je ne répondrais pas «je suis Corse» car au final c’est dû au hasard, et encore moins «catholique» puisque, soit dit en passant, je me suis fait débaptiser. Non, plus le temps passe et plus je pense que mon univers culturel se rattache à Charlie Hebdo

Cette irrésistible envie de prendre le quotidien avec un pas de côté, ce désir d’emprunter les chemins qui ne vont pas à Rome, cette jubilation pour les révoltes joyeuses, ce goût pour le rire qui nous fait réfléchir: je le dois à cet hebdomadaire satirique. Puisque seuls les plus de 60 ans ont connu la première version de Charlie Hebdo, il me faut dire que le Charlie que j’ai aimé, celui auquel je suis abonné, c’est le Charlie réinventé par Cabu et Philippe Val dans les années 90, et qui, aujourd’hui, est dirigé par Riss.
Quel bonheur, en lisant Charlie Hebdo, 50 ans de liberté d’expression, de retrouver tout ce foisonnement intellectuel où chaque ligne, chaque pensée est un coup d’épée dans le conformisme, un aphorisme libertaire, et surtout un bel hymne à la joie.

Souvent, l’humour (même le bon) est un art éphémère et les rires se rident vite. Prenons pour exemple la dernière couverture d’Hara Kiri qui lança Charlie en 1970: «Bal tragique à Colombey, un mort». Cette vanne, que l’on doit au Professeur Choron, est incompréhensible 50 ans plus tard, si elle n’est pas remise dans son contexte. En revanche, la couverture la plus fameuse de Charlie c’est un trait d’humour de Philippe Val dessiné par Cabu: «Mahomet débordé par les intégristes, c’est dur d’être aimé par des cons». Là, même dans mille ans, elle continuera de faire rire et réfléchir. Ainsi est l’humour lorsqu’il touche au sublime.

 Il est impossible de résumer ce livre qui retrace 50 ans de dessins et de chroniques, même si on ne peut que s’émerveiller à chaque page. Avec Charlie, la satire retrouve toute sa verve et son panache… un journal de 16 pages qui se réinvente toutes les semaines où règnent la culture, l’intransigeance, et qui utilise l’humour, l’ironie, le rire franc et ravageur au service d’idées progressistes et humanistes. Un journal de gauche, de cette gauche qui lutte contre la barbarie humaine, la bêtise quotidienne, et la médiocrité des cons. Un journal qui nous rappelle qu’il est plus simple de patauger dans nos certitudes que de naviguer dans le doute.

Par Anthony Casanova

Par Anthony Casanova

Anthony Casanova est le directeur de publication et le rédacteur en chef du journal satirique Le Coq des Bruyères.
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