Charlie, te souvient-il

par | 8 Jan 2019

Anthony CASANOVA est politiquement correct

Elle semble si loin cette matinée, du 7 janvier 2015, où quelques lecteurs achetèrent machinalement Charlie avec, en couverture, un Houellebecq aussi dépressif que nature. Au alentour de midi, ce journal qui restait la respiration hebdomadaire des amateurs du dessin de presse et de la chronique en pas de côté devint un slogan mondial. 3 ans et 3 mois après l’attentat au cocktail Molotov détruisant les locaux de Charlie, deux connards s’introduisaient au siège de la rédaction pour la décimer au nom d’Allah. Le lendemain, un autre connard, toujours au nom d’Allah, assassinait une policière avant de commettre, le 9 janvier, un massacre antisémite à l’intérieur d’un Hypercacher. Un peu d’espoir dans ce monde de merde, le 11 janvier, dans toute la France et à certains endroits de la planète, des manifestations s’organisèrent pour afficher une solidarité envers les victimes au nom de «Je suis Charlie».

Un journal, des flics, des Juifs. Bien que la majorité de la population française se sentit «solidaire», il fallut néanmoins attendre les attentats du 13 novembre pour qu’elle se sache visée. Entre-temps, le droit de dessiner Mahomet ou le sionisme semblait être, pour ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur lâcheté, la cause des attentats du mois de janvier. Ceux de Copenhague, du Nigéria, de Libye, du Mali… semblaient ne pas questionner ceux qui ne veulent pas se poser de questions. Ce fut donc après les attentats dit «du Bataclan» que la France a fini par se dire : «ah ! mais en fait, les islamistes visent tout le monde… et moi qui me croyais en sécurité puisque je ne suis ni Juif ni dessinateur… je suis quand même un peu con, non?» Enfin, c’est ce qu’aurait pu penser un Emmanuel Todd s’il n’était pas complètement con.
Il faudrait être Prévert pour faire l’inventaire de toutes les ordures qui ont cru bon de dire «Je suis Charlie mais…» ou plus froidement «Je ne suis pas Charlie». Et si l’Histoire s’entête à donner tort à tous ces cons, 4 ans après le 7 janvier on continue de valider le proverbe «l’expérience est une lanterne qui n’éclaire que derrière soi»: Le principal parti de gauche à l’Assemblée, dont le leader (Mélenchon) fit une oraison funèbre pleine de lyrisme au dessinateur Charb, a dans ses rangs Danièle Obono qui ne manque jamais de rappeler à quel point elle n’est pas Charlie; Un syndicat d’étudiants a voulu interdire la représentation d’un texte de Charb à la Sorbonne; Le journal Charlie Hebdo reçoit toujours autant de menaces de «finir le boulot»; L’ancienne journaliste de Charlie, Zineb El Rhazoui, est la cible de tous les fous d’Allah; les actes et crimes antisémites se multiplient… le tout, oui le tout, dans une putain d’indifférence généralisée.

Comme si ce n’était pas suffisant, Macron, qui ne sait plus à quel rond-point se vouer, lui qui déclarait l’année dernière s’inquiéter d’une «radicalisation de la laïcité», ne trouve rien de mieux à faire que de retoucher à la loi de séparation des Églises et de l’État. Si ce n’est pas le signe que rien n’est fait, que rien n’est pensé pour que cesse cette soumission vis-à-vis de l’obscurantisme, alors personne ne s’étonnera lorsque l’idéal universaliste se tronquera en dystopie communautariste.

Pour être sincère, j’aimerais avoir l’élégance d’Antoine Leiris et son Vous n’aurez pas ma haine. Or, j’en suis incapable. Je ne suis que rage, que haine et mépris envers ceux qui ont dit ou disent encore -peu importe les raisons- «Je ne suis pas Charlie», «Charlie, oui mais», «J’étais Charlie». ou tout simplement «bien fait pour leur gueule».

Tradition du nouveau calendrier oblige, je souhaite une belle année à ceux qui étaient, sont et resteront encore Charlie, les autres peuvent bien aller se faire foutre.

par Anthony Casanova

Anthony Casanova par Babouse

Par Anthony Casanova

Par Anthony Casanova

Anthony Casanova est le directeur de publication et le rédacteur en chef du journal satirique Le Coq des Bruyères.
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