Après Riss, Luz, Coco, Juin et Félix, félicitons notre ami Biche d’avoir intégré le joyeux club des dessinateurs qui font dire aux cons: «je ne suis plus Charlie». Nous avons beau expliquer depuis plus de 4 ans que le slogan «Je suis Charlie» exprime une solidarité et un soutien aux victimes du terrorisme de janvier 2015, et non la revendication d’un abonnement au journal satirique Charlie Hebdo, rien n’y fait. Eh bien soit, vous n’avez plus envie d’être «Charlie» à cause d’un dessin? Soyez «Daech», bande de cons, ils recrutent en ce moment.
Comme tous les arts, le dessin se divise en plusieurs catégories, et dans ces catégories il y a encore des sous-catégories. Bien que tous les dessins humoristiques aient la prétention de nous faire rire, il y a un univers entre l’humour de Gotlib ou Franquin et celui de Reiser ou Cabu, pour ne citer qu’eux. D’ailleurs, même au sein des dessinateurs de presse, il y a aussi tout un monde entre les chinoiseries de Boll et les petits mickeys de Deligne, pour ne citer que les copains de Ranson. Cependant, l’émoi que peut provoquer un dessin est inversement proportionnel à sa présence dans les médias: Dans toute la presse, les encarts réservés au dessin s’amenuisent. Les dessinateurs -majoritairement sous-payés- en sont réduits à ne proposer que des œuvres susceptibles d’être acceptées par un rédac’chef qui préférerait le remplacer par une publicité. A la télévision, il n’y a plus que chez Ruquier et dans le 28 minutes d’Arte que l’on y diffuse des dessins. Or, étonnamment, c’est le dessin qui fait le buzz mais il n’existe presque plus.
Dessiner l’actualité est un exercice difficile car, en dépit de ce que l’on pourrait imaginer, elle se répète souvent. L’un des artifices employés par les dessinateurs consiste à entremêler deux actualités dans un même dessin. Ainsi, on se renouvèle sans donner l’impression de ressasser une même idée. C’est ce que fit Biche dans son dessin représentant un sexe féminin avec un ballon de foot en guise de clitoris. Le titre «Coupe du monde féminine», le sous-titre «on va en bouffer pendant un mois!». Ici, la coupe du monde de foot fut associée à la célébration du bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet (18 juin 1819) via son chef d’œuvre L’Origine du monde. Emmanuel Macron avait d’ailleurs, pour l’occasion, loué la «volonté de transgresser» du peintre.
Dès que les coups de crayons de Charlie Hebdo provoquent une «polémique», une transgression, les médias rappellent volontiers que cela fait partie de «l’ADN» du journal. Évoquer les gènes de Charlie est une pudibonderie métaphorique pour dire que les dessinateurs de Charlie sont libres. Oui, entendez-le, Charlie Hebdo est l’un des seuls journal au monde -pour ne pas dire le seul- où l’unique contrainte pour qu’un dessin soit publié c’est qu’il paraisse, pour toute l’équipe, intelligent et drôle.
Chez les «journalistes sportifs», le dessin a choqué. Pierre Ménès a fait un parallèle minable entre cette Une et la conversation abjecte qu’eurent Daniel Riolo et Jérôme Rothen sur une victime présumée de viol. Pascal Praud, dont son allergie à l’intelligence semble incurable, a trouvé le dessin de Biche «d’une vulgarité inouïe», et l’a censuré. Pour un type qui partage l’antenne avec Cyril Hanouna, c’est un comble.
Dessiner un sexe féminin n’est pas sexiste, le sexisme est de rendre sa représentation tabou jusque dans les manuels scolaires. Bien sûr, il n’y a aucun mal à ne pas aimer ce dessin ou à le trouver choquant. Ce qui est insupportable et qui doit rester intolérable, c’est cette manie consistant à menacer l’auteur d’un dessin.
par Anthony Casanova
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