« Louvre Story », le roman « drôlement » fantastique de Jean-Pierre de Lipowski, est paru. Cette semaine, « Le Coq des Bruyères » a le plaisir et l’avantage de vous en offrir un extrait.
La semaine dernière, dans la première partie, nous comprenions que, la nuit, toutes les toiles du Louvre sortent de leur cadre et prennent vie (un phénomène que nombre de gens subodorait). En l’occurrence, le Jésus de Véronèse, en sérieux état d’ébriété, a mis le feu à son propre tableau, « Les Noces de Cana », incendie heureusement circonscrit grâce à une chaîne de solidarité de tous les chefs-d’œuvre du Louvre. Suit une tentative de règlement d’un contentieux entre Dieu (du Tintoret) et son fils, le dialogue débutant au sein du tableau des « Noces de Cana » et se poursuivant sur la Grande Lagune de Venise où père et le fils, en toute divinité, marchent sur l’eau. Nous les avions laissés alors que Jésus reprochait à Dieu d’avoir fait une erreur de casting pour la mise en scène du Golgotha.
Les Noces de Cana de Véronèse
« Je sais… fait Dieu en tapotant machinalement une vague du bout du pied, je me suis peut-être trompé de metteur en scène… Et non pourtant ! Regarde le succès commercial. Best-seller partout… même Michael Jackson n’a pas fait mieux.
— Succès commercial mon œil ! Compare les choses comparables. Reviens dans deux mille ans et tu verras où il en sera, Michael. Et puis, y a deux mille ans, le peuple, il gobait n’importe quoi. Évidemment, pas de références ! Aujourd’hui ton scénar, amène-le en face de Star Wars, tu verras la gueule des distributeurs… pas un n’en voudra… passera en salle d’art et d’essai une semaine à Clermont-Ferrand. Non vraiment, sur ce coup-là, t’es pas clair, pépère.
— C’est facile à dire après, je te répète que je ne pouvais pas prévoir. »
Une gondole, vigoureusement menée, passe trop près d’eux, envoie des vagues qui viennent mouiller le bas de la robe de Dieu. Celui-ci, irrité, apostrophe le gondolier : « Eh ! Le macaroni ! Tu peux pas faire gaffe où tu roules !
— Vaffanculo ! lui renvoie le gars d’un doigt levé.
— Pas prévoir… et quand je t’ai appelé sur la croix, t’as répondu ? Non ! Tu m’as laissé tomber.
— Il m’a trempé la jupe, l’abruti ! Il revient à Jésus : La croix… on s’en est déjà expliqué. J’étais pas là, j’étais pas là !! Quand je suis rentré un peu avant quinze heures, j’ai écouté les messages. Quand j’ai entendu le tien : Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font, je me suis dit : Ça y est, y a une tuile ! Je me précipite mais j’arrive juste pour la fin. Marie, au pied de la croix, dans un état épouvantable, Jean, pour sa part, livide, et toi amoché. Je me dis : J’peux pas laisser passer ça… faut faire qu’que chose, juste histoire de marquer le coup. C’est là que j’ai déchiré le rideau du temple et, je t’assure, c’est pas facile, sans entraînement, surtout à l’endroit des ourlets. Tu vas rigoler, j’arrivais pas à… » Dieu mime le déchirement d’un tissu à un Jésus qui reste de marbre : « J’arrivais pas à aller jusqu’au bout. Bon, j’t’ai quand même fait la foudre et la nuit. La foudre, par temps clair, et la nuit à trois heures de l’après-midi…! Je sais pas si tu vois… Ça aussi ça a été coton… Tu connais l’administration là-haut… Vingt formulaires quinze jours à l’avance pour un malheureux petit miracle, alors la nuit en plein jour sans les avoir prévenus, j’te raconte pas ! Ils m’ont bricolé vite fait une petite éclipse… Mais ça l’faisait pas, ça rendait rien. Ils me l’ont dit d’ailleurs, ça s’improvise pas des trucs comme ça. Enfin bref, voilà l’histoire… un contretemps en quelque sorte… un fâcheux contretemps.
— Un contretemps, ben voyons…
— Cela mis à part, et entre nous marchands de balais, il fallait bien un truc symbolique suffisamment fort pour racheter les péchés du monde. Avec une évasion, même spectaculaire, on ne nous aurait pas fait crédit. »
Front plissé, Jésus regarde au loin le soleil couchant sur la lagune : « Je suis la caution, si je comprends bien…
— Tu n’entendais rien aux affaires, il fallait me faire confiance.
— Les péchés du monde… si tu savais, je m’en tamponne le coquillard avec une gousse d’ail !
— Jésus ! Je te défends de parler de nos intérêts sur ce ton badin !
— Pas nos, TES intérêts ! Nuance…
— Tu touches des droits, tout de même.
— Parlons-en, ricane Jésus, entre Dieu le Père, auteur, la Mère Marie, compositrice, le Saint-Esprit, arrangeur, et l’Église, éditeur… Jésus l’interprète, qu’est-ce qu’il lui reste…? des clous ! Si je puis dire.
— Et la gloire, Jésus, la gloire !! Tu es un ingrat. Après tout ce que j’ai fait pour toi… deux mille ans après, toujours des jérémiades !
— S’émouvoir d’être insulté, torturé, flagellé, scotché comme une mouche… des jérémiades ?! dit Jésus en se campant face à Dieu et basculant d’une pichenette son auréole en arrière.
— Mais oui… pour cinq minutes de souffrance, tu nous bassines pendant vingt siècles.
— Cinq minutes de souffrance… murmure Jésus dont le regard se durcit, tu veux que je t’en fasse juste trente petites secondes de souffrance, moi ? hein, tu veux ? » et, dans l’indifférence générale des Vénitiens qui, sur un pont, sur le quai ou sur une gondole profitent insouciants des derniers rayons du jour, il attrape Dieu à la gorge.
« Mais voyons, Jésus, qu’est-ce que tu fais, laisse-moi tranquille !
— Dieu tout-puissant, peinard tout là-haut sur son trône et ses escarres… il veut essayer quelques petites secondes de souffrance ?
— Lâche-moi, c’est ridicule.
— Quelques secondes de souffrance offertes à Dieu le Père à titre d’échantillon. Histoire de lui donner du plaisir… afin qu’il puisse imaginer ce qu’est une vie terrestre bien quotidienne.
— Jésus… tu me fais mal.
— Huuummm… c’est bon, non ? Qu’est-ce qu’on dit ? On dit Merci, petit Jésus.
— Lâche-moi, tu m’étrangles…
— Sans blague ? »
Déstabilisé dans sa lévitation, Dieu se fait rattraper par la gravité et commence à s’enfoncer dans l’eau. Jésus, sans lâcher sa prise, accompagne le mouvement.
« Jésus… tout ça… c’était nécessaire…
— Nécessaire ? Pourquoi donc, mon chéri ?
— Nécessaire… aïe… pour le bien de l’humanité… pour que ça s’arrange sur terre… »
Dieu est maintenant enfoncé dans l’eau jusqu’aux épaules, Jésus, lui, est à genoux sur l’eau.
« Ah, c’est réussi, tout va bien mieux depuis.
— Je ne le referai plus…
— Ainsi soit-il. »
La tête de Dieu, s’étouffant, disparaît une seconde dans l’eau, réapparaît. « Tu vas… me tuer…
— J’espère. »
Dieu disparaît sous les flots. Jésus, mains dans l’eau jusqu’aux coudes, serre encore un instant, se redresse. Bouillonnements, puis le cadavre remonte à la surface. Dieu est mort.
Flûte, comme l’avait anticipé Nietzsche, Dieu est mort… Jésus, expert es-miracles, ne sera-t-il pas contraint de le ressusciter ? Vous le saurez en vous procurant « Louvre Story ». Où ? me direz vous, sur amazon.fr par exemple (version brochée et/ou Ebook) ou chez votre libraire préféré.
On retrouve par ailleurs « Otium » de Jean-Pierre de Lipowski sur le net, un webroman où, selon les dires de l’auteur, il raconte « Sa vie, son œuvre, ses ongles cassés », avec force photos, archives son et vidéos et, accessoirement, humour.
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