Entretien avec Yael Mellul

par | 12 Juin 2018

Christophe SIBILLE et sa lectrice

Yael Mellul, comment doit-on vous présenter ? Avocate, (ancienne du barreau de Paris dont vous avez démissionné), co-fondatrice du «Printemps républicain» en 2015, militante féministe et à la pointe du combat contre l’antisémitisme ?
Yaël Mellul : Absolument. Tout cela est vrai, et ça me va parfaitement.

Aujourd’hui, on va surtout évoquer l’un de vos combats qui fait l’actu et dont vous êtes partie prenante.
C’est «l’affaire Cantat». En ce qui concerne le suicide de Kristina Rady, il y a quatre ans, lorsque j’étais l’avocate de François Saubadu (dernier compagnon de Krystina Rady), j’avais envoyé un courrier au procureur de la République de Bordeaux. C’était une copie d’un  message téléphonique dans lequel cette dernière détaillait les violences physiques et psychologiques qu’elle subissait de la part de Bertrand Cantat. Aujourd’hui, je dispose d’autres pièces à déposer au dossier, notamment des conversations avec un ancien membre de «Noir Désir» prouvant qu’ils étaient tous, et ce bien avant la mort de Marie Trintignant, au courant des comportements violents de ce dernier. Cet ancien membre de Noir Désir, qui était ami avec Kristina Rady, avait également des échanges par mail avec elle, dans laquelle elle lui disait craindre pour sa vie, et même être en danger de mort. Il a également reconnu que tous avaient sciemment menti au procès de Vilnius en défendant Cantat. J’ai donc décidé de porter l’affaire en justice en portant plainte contre lui pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Rappelons que Bertrand Cantat a tué son ex-compagne, Marie Trintignant, en 2003, de dix-neuf coups divers.
Oui, dont quatre mortels portés au visage. Elle était en état de mort clinique deux heures plus tard. Il est donc hors de propos de plaider l’accident. Et la mort de Kristina Rady intervient deux ans et demi après la sortie de Cantat de prison, alors qu’il est censé avoir un contrôle judiciaire, un contrôle psychologique, et être suivi par un juge d’application des peines. Tout ceci est pour le moins dérangeant. D’autant que Bertrand Cantat dort paisiblement sur le canapé du salon pendant que Kristyna Rady se suicide a l’étage.

Pour le béotien que je suis, comment se fait-il qu’avec tout ce qui fut dévoilé: les dires d’un ancien membre de Noir Désir, le fameux coup de téléphone de Kristina Rady et ses confidences à Samuel Benchetrit (l’ex de Marie Trintignant), donc que tous ces éléments n’aient pas pu concourir à un retour de Bertrand Cantat devant les tribunaux ?
Écoutez, c’est un grand mystère pour moi. Normalement, le message téléphonique laissé par Krystina Rady dont j’ai parlé au début de cette interview aurait dû se suffire à lui-même. D’autant qu’on peut y ajouter les déclarations de François Saubadu, qui a été témoin direct de violences subies par elle. De plus, on ne sait même pas si le juge d’application des peines qui suivait, on le rappelle, un homme ayant tué une femme à mains nues, a été entendu par la brigade criminelle sur le suivi judiciaire de Cantat !

Rappelons aussi que, avant même que Marie Trintignant ne soit déclaré morte, des journalistes, au cours d’une conférence de presse, ne voulaient pas «charger une icône de la gauche». Puis, après la libération au bout de quatre ans de Cantat, le juge d’application des peines a eu des propos pour le moins curieux…
C’est ce juge qui avait demandé la libération de Cantat, en affirmant effectivement que, je le cite, «ce n’était pas un meurtrier.» Et en le répétant encore dans une interview au «Point» quelques années plus tard. Il fallait donc qu’il justifie cette décision. Mais comment le pouvait-il après qu’une autre femme meure, là est une vraie question. Ne pas se taire, de sa part, et dans ses conditions, était d’une indécence absolue.

On vous accuse de faire de Bertrand Cantat un symbole plus qu’un cas individuel…
Mais c’est Bertrand Cantat lui-même qui, en se remettant dans la lumière après avoir tué deux femmes, est devenu un symbole de la lutte contre les violences faites aux femmes ! S’il s’était tu, au lieu de se remettre sur le devant de la scène médiatique, on n’en aurait même pas parlé ! En justifiant son acte ! Par l’amour, qui plus est ! Là, il veut remonter sur scène comme si de rien était. En nous demandant, non le pardon, qu’on lui aurait peut-être accordé, mais de l’amnistier, d’effacer son crime ! C’est insupportable pour les familles entières qu’il a détruites. Je le refuse, et la société ne supporte pas non plus qu’un homme revienne dans la lumière sans avoir pris conscience de ce qu’il a fait. Elle ne supporterait pas cette impunité dont il croit pouvoir bénéficier. Et moi, je ne peux pas voir cohabiter l’image de Bertrand Cantat remontant sur scène et celle de Nadine et Jean-Louis Trintignant le visage pétri de douleur. Ce n’est simplement pas possible.

(pour l’interview complète, cliquez ici )

propos recueillis par Christophe Sibille

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Par Christophe Sibille

Par Christophe Sibille

Christophe Sibille a enseigné la musique à de futurs instituteurs durant 32 ans. Il a aussi écrit des brèves pour plusieurs journaux satiriques ou humoristiques dont Charlie Hebdo. Dans les années 80-90, il accompagna le duo Font et Val au piano. Il anime sur Radio Balistiq l'émission "Le Balistiq café" tous les jeudi 19 heures
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