Il était une fois, en Amérique…

par | 15 Déc 2020

À l’heure où vous lirez cette chronique, normalement, ça devrait être terminé une bonne fois pour toutes. L’homme orange pourra continuer à bouder, ses supporters pourront continuer à refuser le réel, peu importe, Trump n’aura pas la majorité des grands électeurs. Et comme y a pas plus tard que y a pas longtemps, la Cour Suprême a envoyé bouler sans ménagement une demande de couillons texans, c’est plié, certifié, avéré, c’est papy Biden qui reprendra le manche en janvier 2021. Et pour être honnête, il va avoir du pain sur la planche, le Joe, vu que la planche en question, elle a été sévèrement savonnée par Donald T, qui est encore plus mauvais joueur qu’il n’était mauvais président.

Je sais bien, nous, Français de France, tellement fiers de nos institutions et de notre Cinquième République, ça nous fait plutôt marrer les aléas des dernières élections ricaines, on se gausse, on pouffe, on ricane. Qu’est-ce que c’est que ce pays ultramoderne et tout et tout qui met plus de 3 semaines à donner les résultats de l’élection présidentielle? Non mais sérieux, même dans les coins les plus pourris du Tiers Monde, ça va mieux et plus vite, vraiment, ces Amerloques, ce sont de sacrés rigolos. «Et puis t’as vu, ils élisent n’importe qui, un acteur, un marchand de cacahuètes, un vendeur de bicoques qui est passé par la téléréalité, c’est n’importe quoi, ici, au moins, nos hommes politiques, ils ont été formés pour le job» qu’on peut entendre dire. Sauf que, justement, les mêmes reprochent souvent à nos politiques d’être hors-sol, des purs produits de l’ENArchie, ah là, là, où qu’il est donc passé le bon temps du Général? Bref, on a ce rapport de mépris avec les Ricains, qui ne date pas d’hier, et quand on se compare, on se sent balaises, sûrs de nous et nettement supérieurs à ce système à la noix de grands électeurs et de représentants qui ne représentent pas toujours la société yankee.

C’est amusant. Mais, si pour une fois, on enlevait nos lunettes déformantes et on se penchait un peu sur le sujet, on pourrait voir les choses un peu différemment. Alors, oui, c’est sûr, c’est bizarre comme méthode, de voter pour un gus, mais de demander à des Grands Électeurs de confirmer ce vote, surtout qu’ils sont obligés de suivre la consigne générale, pas de surprise, pas d’entourloupe possible, le mandant est impératif, faut pas essayer d’en sortir, sinon, y a faute. Ici, on vote pour celui qu’on veut voir élu et basta, il a gagné, il fait son beau discours plein de trémolos dans la voix, il sera le Président de tous les Français, même ceux qu’ont pas voté pour lui, même ceux qu’ont pas voté du tout et puis, il fait sa politique et c’est reparti comme en 14. 

Ben, en fait, là-bas, c’est presque pareil. Sauf qu’ils y croient. Et que le Président, il pense vraiment qu’il doit être celui de tout le monde. Même Trump. Si, si, je vous jure. Ce n’est pas pour rien que nous, on n’a pas compris pourquoi des Noirs et des Hispaniques ont voté pour lui. Ou pourquoi des femmes, et pas que des WASP, ont soutenu à cette élection ce phallocrate patriarcal avéré. Oui, c’est un crétin, un couillon, un sale type et peut-être même un escroc, mais dans la tête des électeurs américains, c’était le Président, POTUS, le Commander in chief, bref, celui qui est là par la volonté du peuple, et ça, ça ne compte pas pour rien. 

Dans son bureau à l’Élysée, le Président français reste le chef du parti qui l’a soutenu dans la tête des électeurs. Dans le Bureau Ovale, c’est le patron, point barre, il est légitime à y être, même s’il est plus con qu’un couteau sans lame auquel il manque le manche. Alors, pourquoi ils continuent à faire confiance à ce système, les Étasuniens? Ils ne sont tout de même pas tous débiles, après tout. Eh bien, parce que ce système fonctionne depuis plus de 200 ans, en ayant pris dans la gueule quelques guerres locales –avec l’Angleterre, le Mexique ou l’Espagne-, une bonne grosse guerre civile, deux guerres mondiales, l’esclavage, la fin de l’esclavage, la ségrégation, la fin de la ségrégation, la guerre froide, les guerres de Corée et du Viêtnam, le 11 septembre et j’en passe. Deux siècles, et toujours la même Constitution et toujours une démocratie, perfectible, très perfectible, même, mais une démocratie tout de même. 

Alors, c’est vrai que le Vieux Joe va devoir se secouer sévèrement les puces pour recoller les morceaux des États de plus en plus Désunis. C’est sûr que Trump a violemment secoué le fondement démocratique de ce pays. C’est certain qu’entre les ravagés du bulbe suprémacistes blancs et les tarés néo-gauchistes à la Evergreen, ça risque de tanguer sévère pour Biden.

N’empêche, malgré tout ça, l’Amérique reste une Démocratie. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle. 

Et, en attendant de vous retrouver en 2021, bonnes fêtes, les amis !

Par Naqdimon Weil

Par Naqdimon Weil

Naqdimon Weil est rédacteur. Il est aussi chroniqueur. Il est surtout social-démocrate universaliste, laïcard et sioniste. Il est gravement quinquagénaire et profondément provincial. Et, évidemment, il est dans le Coq.
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