On ne rappellera jamais assez l’intérêt qui reste, somme toute, inversement proportionnelle à l’importance que l’on accorde aux anniversaires. L’armistice de la Seconde Guerre mondiale a 73 ans, Mai 68 a 50 printemps, et Macron souffle sa première bougie à l’Élysée. Que de dates, de célébrations, et d’occasions de ramener le présent au passé pour lui donner une consistance. C’est dans le beau théâtre du Kärntnertor, à Vienne, le 7 mai 1824, que Beethoven fit entendre pour la première fois sa neuvième symphonie en ré mineur. N’aurait-il pas trouvé cocasse que 193 ans plus tard, jour pour jour, le suffrage universel accouche d’un Président de la République française célébrant son élection en faisant résonner cette même œuvre ?
365 jours pour faire une année, il ne faut pas être un fin statisticien pour admettre la forte probabilité que votre naissance coïncide avec un événement qui marqua plus ou moins l’Histoire. Ce hasard, que les mégalomanes nomment le « destin », n’est qu’un clin d’œil du temps qui fait son job. Un célèbre chanteur anarchiste, qui resta monégasque jusqu’à sa dernière déclaration d’impôt, disait que « La lumière ne se fait que sur les tombes ». Il avait raison. Nous ne retenons d’ailleurs que les ornements des pierres tombales: deux dates, un nom et une représentation. Même les « grands » de ce monde, imbus de leur petite personne, savent qu’il arrivera un jour où le commun des mortels les oubliera. Ne pouvant être décisionnaires des dates de leur gloire ou de leur chute, ils choisissent gravure, peinture ou photo pour les «immortaliser». C’est trop d’honneur qu’ils nous font. D’ailleurs, en voyant Napoléon se prendre pour César sous le pinceau de David, ne pensons-nous pas que si le ridicule tuait, le Premier Empire n’aurait pas duré longtemps ?
En France, il est coutume d’accrocher le portrait du Président dans les mairies. C’est la photo officielle, celle qui se retrouvera dans les livres d’histoire si tant est qu’il reste un peu de place. L’initiateur de la chose fut le premier Président de la Troisième République, Adolphe Thiers, bourreau de la Commune de Paris et nostalgique de la monarchie. A chaque élection, on se plaît à analyser la fameuse photo. Cependant, il semblerait que la personnalité de l’artiste, derrière l’objectif, en dit bien plus que tous les symboles grossiers que le prince éphémère a souhaité nous livrer.
Le général de Gaulle avait fait appel à Jean-Marie Marcel, photographe des modèles de la haute couture. De Gaulle se pensait être sur-mesure pour la France, il fut « immortalisé » par un spécialiste. Pompidou, qui essaya toujours d’avoir les faveurs des médias, préféra François Pagès, un photographe de Paris-Match.
C’est à partir de Valéry Giscard d’Estaing que le portrait présidentiel se changea en un petit coup de communication. Giscard qui rêvait d’être dans le vent voulu être photographié par Jacques-Henri Lartigue, 80 ans, dont la renommée tardive n’est due qu’au hasard de sa présence dans un portfolio du magazine Life lors du numéro annonçant la mort de JFK. Le magazine fut énormément vendu, et Lartigue fut connu. Il n’en fallait pas plus pour que VGE le trouve moderne.
Gisèle Freund, photographe allemande qui avait fuit le nazisme, était renommée pour avoir photographié de grands écrivains (Joyce, Yourcenar, Gide, Beckett…). Mitterrand, homme de lettres, se tourna vers elle pour « l’immortaliser » avec en main les Essais de Montaigne. Chirac demanda les services de Bettina Rheims, photographe de stars telle que Madonna. Sarkozy se tourna vers Philippe Warrin, paparazzi notoire dont on peut retrouver les meilleurs clichés dans Voici. C’est Raymond Depardon, journaliste et réalisateur engagé, qui eut la charge de photographier Hollande. Et pour finir avec la Ve République, Macron a fait un choix qu’il réitéra plus tard avec ses députés: L’anonyme qui était là au départ de son « projet » et qui fera où on lui dit de faire. Il s’agit de Soazig de la Moissonnière, jeune photographe de bonne famille, qui avait notamment suivit Bayrou en 2012, puis Macron lors de la campagne électorale.
Une image. Officiellement pour l’histoire, officieusement pour le jeu de la communication. Des images sages et solennelles de ces princes du moment, cyniques et arrogants. Comment ne pas avoir envie de faire comme le gamin du poème de Prévert qui regardait l’image d’un enfant sage comme une image ?
« Il détache la page avec soin, la déchire, lance les morceaux
En l’air et attend que ça retombe, en désordre.
Et il ordonne ce désordre à sa guise, et bientôt découvre
Une autre image qui représente un enfant turbulent, comme
Il l’est lui-même souvent, secrètement et qui transforme, en
Souriant, le langage des images, comme il réforme et reforme
Les images du langage qu’on lui apprend habituellement,
Quand elles lui semblent être, et c’est souvent,
Les messages du mensonge. » (Jacques Prévert, Imaginaires)
par Anthony Casanova
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