Le monde d’après ne va pas tarder

par | 10 Juin 2025

Le mec qui a inventé la roue : on dira ce qu’on voudra, mais ça ne devait pas être un con. Loin de là ! Savait-il, le brave homme, il y a 5 000 ans, que cette invention allait bouleverser l’humanité ? Non. Il devait simplement se dire que ce serait bien pratique pour déplacer un truc lourd. On l’oublie, mais certains génies savent faire preuve de modestie.

Tout au long de l’Histoire – avec un grand H, comme la bombe du même nom – des femmes et des hommes ont eu ce petit éclair qui fit que le monde ne fut plus tout à fait le même après leur trouvaille.

On se souvient parfois d’une poignée d’entre eux parce qu’une place, une rue, un boulevard ou une pauvre impasse porte leur nom. La postérité est assez aléatoire. Certes, depuis qu’un marchand d’armes suédois a donné son patronyme à un prix destiné à gratifier cinq personnalités par an, on peut avoir – en recevant la babiole – l’illusion d’entrer dans l’histoire. Or, il arrive qu’on s’imagine en chapitre alors qu’on ne sera qu’une simple note de bas de page du grand livre des gens connus.

Mais un prix, ça dépend beaucoup de la personne à qui on le donne. Un Nobel de littérature à Albert Camus, ça ne fait que donner de la gueule au Nobel. Camus n’avait pas besoin de ça… Mais lorsque tu offres ce même prix à Annie Ernaux, tout à coup, le Nobel a autant de prestance qu’un jouet offert dans un paquet de lessive.

Il y a aussi des génies « oubliés », comme Harvey Karman, psychologue américain, qui inventa un moyen simple, sûr et presque indolore permettant aux femmes d’avorter. L’histoire de cet homme, la volonté qu’il eut pour faire passer son invention des Amériques au Bangladesh, est admirable. Des millions de femmes lui sont redevables sans le savoir. Pourtant, ne cherchez pas : pas une seule ruelle ne porte son nom.

Enfin, il existe une dernière catégorie de « génie ». Génie, dans le sens où leur idée est un réel bouleversement, parce qu’ils savent ressentir l’air du temps. Je souhaite ici mettre en lumière la personne qui a compris qu’il fallait mettre un panneau sur une voie ferrée pour avertir ses semblables qu’en traversant sans regarder, ils risquaient de prendre un train dans la gueule.

Eh bien, cette personne qui inventa le « attention au train », était-ce par misanthropie ? Par condescendance ? Peut-être que cet excès de prévenance pour son prochain venait d’une sensibilité si aiguë qu’elle ferait passer les cordes vocales de Chet Baker pour des câbles d’ascenseur ?

Ou alors – mais ce n’est que mon humble avis – l’auteur ou l’autrice du « fais gaffe au train (ducon) » était foncièrement cynique. Cette personne savait que le peuple est un con, que l’humanité c’est de la merde, et que malgré son panneau, il y aura toujours un connard pour se faire exploser par un train. Elle savait que les conseils, les avertissements, les « red flags », les alertes, c’est pour la forme. Parce qu’en définitive, tout le monde s’en fout.

De la guerre de Troie à la Première Guerre mondiale, vous pensiez que ça servirait de leçon ? Pas du tout ! La Seconde Guerre mondiale sera le paroxysme de l’abominable. Vous pensiez que le nazisme, le fascisme et le communisme seraient enterrés après ça ? Que nenni ! Les peuples qui ont le droit de vote votent encore pour l’extrême droite et l’extrême gauche, en imaginant que le prochain régime autoritaire sera peut-être le bon.

Les religions ont asservi et terrorisé la planète ? Eh bien, ça se voile, ça fait le carême, ça se baptise, ça fait le ramadan, ça s’agenouille, ça s’accroupit, et ça prie comme des larves en militant pour le droit de courber tellement l’échine qu’on en finisse par faire la roue.

Le « monde d’après », nous le connaissons que trop bien, c’est l’écriteau « un train peut en cacher un autre ».

Par Anthony Casanova

Par Anthony Casanova

Anthony Casanova est le directeur de publication et le rédacteur en chef du journal satirique Le Coq des Bruyères.
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