Mourir pour Taïpei

par | 9 Nov 2021

Forcément, ça vous dit quelque chose, cette phrase de titre, ça remue un vieux truc gravé dans un coin de votre mémoire, genre époque Première ou Terminale, selon que vous ayez été d’avant ou d’après la réforme Haby, c’est pas trop trop clair, mais ça vous titille le neurone à souvenirs. Dantzig, merde, ça vous cause, mais de quoi, déjà. Bon, allez, je vous aide. Dantzig, qu’on connaît mieux aujourd’hui sous le joli nom polonais de Gdansk, t’as le bonjour de Lech Walesa, c’était cette ville germanophone de la côte Baltique polonaise que le traité de Versailles avait accordé à l’Allemagne vaincue, mais sans continuité territoriale, une vraie idée à la con. Et que l’autre enfoiré à moustache voulait rattacher à son putain de Vaterland sans discontinuité géographique, quand je vous disais que c’était une idée de merde.

Donc, maintenant que vous vous rappelez de ce dont à propos de quoi je cause, le titre de cette chronique vous est plus clair. C’est une parodie de celui d’un article de cette vieille merde molle de Marcel Déat, socialiste pacifiste qui passa avec armes et bagages dans le collaborationnisme le plus gerbant en moins de temps qu’il n’en faut à un homme marié pour se rhabiller après avoir tiré son coup chez sa maîtresse. Dans ce papier plein de sentiments nobles et de petites lâchetés, Déat milite pour ne pas mourir pour Dantzig, pas question que nos troufions aillent se faire trouer la panse par les Boches pour des Polacks, ça va bien, cette histoire. Et tant pis si lesdits Polonais étaient un peu nos alliés – bon, d’accord, j’ai à peu près autant de sympathie pour la Pologne proto-fasciste de Pilsudsky que pour celle actuelle, c’est-à-dire proche du micron, mais, n’empêche – et que la République avait donné sa garantie de défendre ce pays. Ils n’avaient qu’à se démerder avec les Teutons, comme le dit l’encore député socialiste, en concluant par  » Ces choses sont peut-être sévères, mais elles devaient être dites. Combattre aux côtés de nos amis Polonais, pour la défense commune de nos territoires, de nos biens, de nos libertés, c’est une perspective qu’on peut courageusement envisager, si elle doit contribuer au maintien de la paix. Mais mourir pour Dantzig, non ! »

Bon, vous me direz, c’est tout à fait passionnant, oh la la, quel sale type, ce Déat, c’était vraiment un pourri, j’espère bien qu’il en a pris plein la gueule à la Libération. Ben, d’abord, non, il a tranquillement fini sa vie en Italie, après la Guerre, tranquille pépouse, comme quoi, la justice immanente, c’est rien que de la branlette intellectuelle. Et surtout, là n’est pas tout à fait mon propos. Je ne vais pas m’amuser à tripoter le point Godwin juste pour le plaisir, pour ce faire, je joue plutôt avec le point G de ma camarade de jeu, c’est plus efficace et plus agréable. Non, si je ressors le cadavre purulent du vieux pétainiste de Gauche de la fosse à purin où elle devrait reposer, c’est pour vous causer de la Chine. Enfin, de la République de Chine, qu’on appelle Taïpei. Mais, si, vous vous rappelez, la même époque scolaire, Tchang Kaï-chek, le chef du Kuomintang anticommuniste qui se réfugie sur l’île de Formose, le nom que les Portugais avaient donné à Taïwan, ne perdons jamais l’occasion de nous cultiver et paf, la République de Chine est née, youpi !, personne ne reconnait ce pays, la Chine communiste gueule régulièrement que c’est une partie de son territoire et c’est comme ça depuis.

Et donc, voilà, on a une République de Chine, pas reconnu par l’ONU, et une République Populaire de Chine – alors, pour être précis, quand un pays se sent obligé de préciser dans son nom qu’il est Populaire ou Démocratique ou Socialiste, faut pas se gourer, c’est une bonne grosse dictature en parfait état de marche – membre du Conseil de sécurité de la même ONU et qui veut récupérer la première, c’est vous dire le beau bordel que c’est. Vous me direz, ça fait plus de 70 piges que ça dure, cette histoire, y a quand même pas de quoi se coller les dim-sum au court-bouillon, c’est une vieille histoire, où est la sauce soja, non pas la sucrée, c’est pour le bœuf au caramel. C’est sûr, ça a tellement l’air d’être figé dans le marbre cette situation qu’on n’a pas vraiment de raison de s’en foutre. C’est pas faux.

Sauf que.

Sauf que le sympathique Xi Jinping, l’aimable patron de la Chine communiste, vient de passer la seconde, rapport à ses réclamations territoriales sur Taïwan. Et histoire de marquer le coup, pour l’anniversaire du régime, il a fait violer l’espace aérien de l’île par une bonne grosse vingtaine d’avion de l’Armée Populaire, rien que pour montrer ses muscles. Ou sa bite, c’est à voir. Bref, muscles ou teub, ça a fait flipper les Taïwanais. Et les Ricains, alliés des précédents. Et les Australiens qui ne sont pas loin. Et les Japonais qui se disent que si ça pète dans le coin, y aurait comme des chances qu’ils soient pris dans l’engrenage. Et ainsi de suite, ah, la joie des dominos, c’est joli à voir tomber quand c’est bien filmé, c’est un peu plus craignos quand ça installe un climat de guerre. Oui, oui, de guerre, je ne déconne pas.

Bon, vous me direz, c’est bien du malheur, mais comme le disait un mien copain, pas moins subtil que la moyenne, au contraire, qu’est-ce qu’on en à branler, de Taïwan ? C’est vrai, quoi, c’est à l’autre bout du monde, c’est même pas des gens qu’on connaît, bah, les Chinois vont les envahir en deux coups les gros, terminé, voyez caisse, alors franchement… Oui, certes. Mais, juste pour mémoire, Taïwan est une démocratie, nettement bien classée dans les rapports internationaux et que la Chine, comment dire ?, c’est juste une putain de dictature violente et sanguinaire. Et que laisser une démocratie se faire attaquer et démembrer par une dictature, vous, je ne sais pas, mais moi, ça me pue sévèrement au nez.

Alors, honnêtement, je ne sais pas quoi faire. La guerre, je ne suis pas fan, sauf sur Civilization VI, quand j’attaque les Maoris avec Byzance, mais sinon, je ne suis pas amateur. En plus, stratégiquement, je suis une quiche, je me viande toujours sur les lignes de ravitaillement dans les wargames. Et je sais bien que le temps qu’on envoie nos soldats défendre Taïwan, ils seront sur place à temps pour fleurir la tombe des premiers fusillés. Donc, je ne sais pas s’il faut mourir pour Taïpei.

Mais je crains que si on ne le faisait pas, tout ça ne finisse encore plus tragiquement.

Par Naqdimon Weil

Par Naqdimon Weil

Naqdimon Weil est rédacteur. Il est aussi chroniqueur. Il est surtout social-démocrate universaliste, laïcard et sioniste. Il est gravement quinquagénaire et profondément provincial. Et, évidemment, il est dans le Coq.
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