Un nom est une marque que l’on porte ou supporte jusqu’au jour où, en se mariant avec son ou sa partenaire, on en change. Un prénom c’est différent, c’est une empreinte, un clin d’œil voire un héritage que l’on souhaite offrir à ses enfants.
Un de mes amis a prénommé son fils Ulysse. Or, cet ami n’est pas plus Grec qu’il n’est navigateur mais on suppose que donner à un enfant le prénom de celui qui «a fait un beau voyage» est une sorte de feuille de route intellectuelle qu’il souhaita proposer à sa progéniture. Un prénom est ouvert aux interprétations plus ou moins heureuses… par exemple Clotilde, peut-être est-ce en souvenir d’un «jardin Où dort la mélancolie Entre l’amour et le dédain»? Et lorsqu’une femme vous dit: «je m’appelle Rose» ne fredonnons-nous pas, machinalement, «Rose is a rose is a rose is a rose»? Certes, lorsqu’il s’agît de Phoebe, Dylan ou Starsky on a tendance à ricaner mais, au final, on se dit que sans les séries américaines nous aurions des prénoms si communs qu’il nous faudrait des surnoms à la con pour nous singulariser.
C’est aussi par des prénoms que l’on distingue les ouragans jusqu’à ce que l’un d’eux soit si meurtrier que l’on ne puisse plus le réutiliser. Chez les humains, c’est la même chose: si vous ne trouvez rien de mieux qu’Adolphe, Oussama, Fidel ou Djihad pour la chair de votre chair, eh bien ça donne envie de placer directement votre gamin aux mains des services sociaux pour lui éviter de recevoir toute la merde que vous prévoyez de lui mettre dans le cortex. L’origine d’un prénom ne pose en réalité problème que si un «grand» nom de l’histoire l’a porté. Lorsque Eric Zemmour parle de prénoms français il ne parle pas de prénoms dont l’origine serait française mais de prénoms francisés. A Natacha préférons Nathalie, à Napoléon choisissons Léon, et pour Hapsatou, au pif, ce sera Corinne. Eric Zemmour sait parfaitement que tous nos prénoms ont des origines grecques, hébraïques, saxonnes, germaniques, slaves… mais ce qu’il veut, ce qu’il promeut c’est la francisation car, selon lui, «les prénoms incarnent l’histoire de la France». Ne lui en déplaise, nos prénoms incarnent surtout l’histoire des migrations des différentes cultures qui ont fait la France.
Pour Monsieur Zemmour l’histoire de France est toujours grande. C’est le refrain du patriotisme bêlant: mon pays avait, a et aura toujours raison puisque j’y suis né. Argument aussi absurde que répandu, argument massue dont on se sert pour aller faire la guerre «contre les étrangers tous plus ou moins barbares». Lorsque certains se battent pour des idées d’autres se battront toujours pour des frontières, sans se soucier de savoir si ses frontières protègent les idées les plus nauséabondes. Le 8 mai 1945, alors que le monde libre fêtait la capitulation des nazis et de leurs amis, en Algérie les forces de l’ordre françaises massacraient des milliers d’Algériens qui fêtaient la victoire tout en réclamant leur indépendance. 12 ans plus tard, un jeune homme français au prénom français, Maurice Audin, qui luttait pour l’indépendance d’un peuple colonisé fut arrêté, torturé et exécuté. Il avait 25 ans. C’était une cause juste. Mais pour Eric Zemmour, lutter contre la politique injuste de votre pays fait de vous un ennemi de la France, et d’en conclure que Maurice Audin «méritait 12 balles dans la peau» car «c’était un traître».
Un prénom a une histoire et ceux qui le portent en ont une autre. Au hasard, Maurice. Maurice est un prénom familier en France, bien qu’il soit d’origine latine, comme les Latins que castagne le Obélix du rital Uderzo et du polak Goscinny, eh bien Maurice c’est français, c’est la France. Mais voilà, il arrive que Maurice bouge, fasse sa vie et qu’il entre dans la grande histoire de France. Parfois il entre par la grande porte parfois par la cuvette de chiottes, car Maurice n’est pas obligatoirement un prénom de mathématicien communiste se battant contre le colonialisme. Maurice peut être aussi le prénom d’un préfet de Gironde de 1942 à 1944 qui envoya 1 690 Juifs vers les camps de la mort, Maurice peut être aussi le prénom d’un préfet de Paris qui en réprimant les manifestations du FLN fit une cinquantaine de morts et une centaine de disparus. Ce Maurice là, fut condamné le 21 octobre 1999 à 10 ans de prison, il fut libéré le 18 septembre 2002 pour raison de santé… une santé «précaire» qui le tiendra en vie jusqu’au 17 janvier 2007. S’il aurait fallu 12 balles dans la peau de Monsieur Audin combien en aurait-il fallu pour Monsieur Papon, digne serviteur de la France jusqu’à ce que la France finisse par se dire que Papon servait l’Allemagne?
Si on devait être à l’image de nos prénoms, sans nul doute que Zemmour se prénommerait Ducon.