Dernier éditorial du Coq des Bruyères, qui fermera ses portes avec ce numéro.
Autant dire qu’on se quitte à une période particulière : la haine envers les Juifs n’a jamais été aussi « hype » depuis 80 ans, l’infâme régime des mollahs en Iran risque enfin de tomber, la menace russe nous fait craindre une troisième guerre mondiale, sans parler de l’extrême droite française, qui finira par arriver démocratiquement au pouvoir lorsqu’une partie de la gauche décidera de s’abstenir au moment du vote final.
Alors, était-ce vraiment le bon moment pour partir ? Paraphrasant Georges Brassens, je vous dirai qu’on peut toujours blâmer ceux qui se cassent tandis que Rome brûle… mais que voulez-vous, Rome brûle tout le temps.
À l’instar d’une relation sentimentale, même s’il semble que ce n’est jamais le bon moment, il faut savoir s’en aller.
En écrivant ces derniers mots, j’ai une pensée profonde pour cet alter ego que je déçois en lui retirant cette petite tribune : ma haine.
Oui, je peux l’avouer aujourd’hui que tout est fini : tout ça, c’était pour elle. Pour lui faire plaisir. Pour flatter son petit ego, toute contente qu’elle était de vociférer pêle-mêle contre une publicité, une chanson écrite avec les pieds, la foi des uns et des autres, les superstitions, l’homéopathie, la naturopathie, un discours de LFI…
Ah, ma haine, je m’excuse de te laisser sur le bas-côté.
J’ai longtemps fait semblant de chroniquer pour un « lecteur parfait », c’est-à-dire quelqu’un que l’on estime suffisamment pour lui donner autant à réfléchir en lisant qu’il nous en a fallu en écrivant.
Mais c’était faux !
C’était un prétexte.
En vérité, nous espérions que cette chronique, bazardée sur le Net, finirait par tomber sous les yeux de quelqu’un qu’on déteste.
Imaginer son mécontentement, son dégoût, voire sa peine, comblait notre imaginaire.
Parfois, ma haine, j’ose te l’avouer, j’imaginais des scénarios uniquement pour fantasmer ta jubilation : tu vois la flottille avec Greta et Rima ? Eh bien, pour te rassasier, je l’ai rêvée couler tel le Titanic du tri sélectif, afin de servir de cure-dents aux requins.
Rien que de songer à ton rire plein de morgue suffisait à mon bonheur.
Oh ma haine, ma douce petite haine, tu m’as évité tellement d’ulcères durant ces 19 ans de Coq que j’angoisse un peu à l’idée de priver ton nombril d’un public factice.
Je sais que tu avais envie de dire du mal des influenceurs, que tu ne vois que comme des parasites exhibant leur avilissement d’hommes-sandwichs à tous les passants virtuels.
J’entends aussi que tu voulais baver sur la niaiserie de ceux qui se proclament « citoyens du monde ».
Je sens déjà ta frustration de ne pas hurler qu’on va tous mourir, que la vie n’a aucun sens, et que si l’on finissait par se rendre compte de la vanité de l’existence, nous finirions sans doute par essayer de vivre heureux en attendant la mort, sans trop faire chier son voisin.
Nul doute que tu enrages dès à présent de ne pas avoir eu le temps de pester que la révolution n’est qu’en soi, que le monde se résume à nos intimes, à nos amours et à nos amitiés, et qu’au lieu de vouloir refaire ou changer un monde qui n’a rien demandé, on devrait humblement s’occuper du seul qui s’intéresse à nous : notre entourage, et puis c’est tout.
Je sais, ma chère haine, que nous allons continuer à voter en espérant ne jamais avoir à choisir entre la peste brune et le choléra rouge.
Mais je t’assure que, malgré notre non-violence de façade, je ferai appel à toi pour fracasser le crâne du premier salopard qui essaiera de piétiner notre liberté.
En attendant, je vais me préoccuper des vrais grands mystères de l’humanité dont tu te fiches royalement, à savoir, dans le cas où notre partenaire aimerait les deux : vaut-il mieux faire l’amour en écoutant le premier quintet de Miles Davis ou les deuxièmes mouvements des concertos pour piano de Mozart ?
Ma haine, je te fredonne le credo de Pierre Desproges le temps que tu t’endormes un peu :
« Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux, coucou »,
fais de beaux rêves remplis de décès des gens que l’on hait.
On s’est bien marrés, mais n’insultons pas l’avenir : nous saurons tous deux te faire ressurgir pour en tirer un petit plaisir.
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