Surtout pas de vagues

par | 30 Oct 2018

Christophe SIBILLE et sa lectrice

Je m’assieds devant le clavier. Comme d’habitude. Toujours engoncé dans ce putain de corset qui me transforme les dessous de bras en steaks tartare, comme d’habitude. Et tout ça, comme d’habitude, dans le but de t’étirer un peu les lèvres du haut dans le sens de la largeur pour te faire dessiner ce sourire, que je devine divin, ô ma lectrice préférée. Et merde, j’ai perdu le début de ma phrase.

Ah, oui. Pile à ce moment-là, mes téléscripteurs crépitent. «Attentat à Pittsburgh; on ignore encore les motivations du tueur.» Les quoi? Les «motivations»? Bravo, BFM. Mais tu aurais pu aller plus loin. «Intention»? «But»? «Projet», comme dans l’éducationationalo-macronienne? Mais admettons: «motivations». Ce qui, à cet égard, nous permet de préciser au déficient médiatique neuronal que cette tuerie a lieu dans une synagogue. Le crétin BFMien qui a sorti cette phrase a donc passé son diplôme de journaliste en langue des signes, avec un jury pratiquant exclusivement le braille. Cerise sur la kippa, je viens d’entendre: «l’attentat a eu lieu dans une synagogue juive.» Authentique. Dernière minute: le rabbin visé avait dénoncé récemment l’incapacité du gouvernement à faire passer la loi sur le contrôle des armes, pour protéger les citoyens. Alors que tout le monde sait, puisque Trumpinou l’a affirmé, que ça ne se serait pas passé comme ça si, je cite, «ils avaient été armés à l’intérieur.»

Bref, changeons de sujet… Quoique. Couac.

– Une AED finit à l’hosto pour se faire recoudre après avoir reçu un coup de poing d’un élève de 6eme… On nous répond: «ça arrive, c’est comme les femmes battues, ça arrive…»
– Une main aux fesses en début de carrière, en lycée professionnel. Réponse cinglante d’une proviseure. «Arrêtez de vous habiller comme vos élèves.»
– Je colle un élève turbulent. Cette année-là, stagiaire, on m’explique pendant mes excellentes formations, que je dois faire réfléchir l’élève «sur les raisons qui m’ont mené à le coller.»
– En jupe dans un couloir, j’entends «elle est bonne la pute», je me retourne, seule femme et un groupe d’élèves. Rapport : La professeure principale en rit et le proviseur me dit : «Vous devriez être contente à votre âge, faut le prendre comme un compliment».
– Quand un parent menace de me péter la gueule au portail quand on sera seuls tous les deux et que j’en informe l’Inspection, on me répond «Vous avez essayé de prendre rendez-vous avec lui?»

Ces cinq témoignages ne sont évidemment pas le fait de mon imagination, pourtant aussi débridée que malade. Ce sont des témoignages de professeurs qui en ont plein le cul. Pas forcément débutants, suite à la campagne catalyseur «#PasDeVagues.» Campagne initiée suite à la diffusion de l’agression d’une prof par un élève, et filmée au portable par un autre. Cocotte-minute qui implose enfin.

«Il faut supprimer les portables», dit le ministre. Ah ouais? Pourquoi pas les profs? Ou même les élèves, après tout? Enfin un moyen efficace pour éradiquer ce que quelques journalistes non informés chargés de nous informer appellent: «les incivilités», et qui sont en fait «a minima» des délits passibles de prison. Rappelons, pour terminer, qu’il y a trois sens, au mot: «autorité»:

Tout d’abord, l’autorité que confère la maîtrise du savoir qu’on a à transmettre, (par exemple, Cédric Villani «fait autorité» en maths; même s’il serait aussi assez crédible en môme qui sonne chez toi un soir d’Halloween pour te braquer des bonbecs, mais c’est pas le sujet.)

Mais ensuite, aussi, «l’autorité institutionnelle», (les parents de jus de burnes et d’ovaires qui, au lieu de les élever, te cassent les couilles. Et les personnels de direction des établissements scolaires qui, pour pas mal de raisons dont la pleutrerie naturelle fait partie, mais pas que, et comme on le voit dans les témoignages ci-dessus, au lieu de te soutenir quand tu sanctionnes fort justement mon chéri – mon cœur, prennent le parti des parents de jus de burnes et d’ovaires qui te cassent les couilles.)

Et, pour finir, ton autorité à toi, misérable professeur. Toi qui va t’en sortir, parce que, même si Blanquer, les sciences de l’éducation, les parents, les «Perdir», et les heures de rien te chient dans les bottes à longueur d’années, tu sais ajouter à la première:

-Un charisme qui te vient de ta voix transformable à merci en celle de Michaël Lonsdale.
-Des expressions de visage que tu réussis à façonner à la demande qu’à côté,  Jack Nicholson dans «Shining» fait penser à Jane Birkin dans «la Piscine».
-Ta ceinture noire cinquième dan de Karaté.

Pour l’antisémitisme comme pour le malaise des profs, l’important est de surtout mais surtout ne pas faire de vagues!

par Christophe Sibille

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Par Christophe Sibille

Par Christophe Sibille

Christophe Sibille a enseigné la musique à de futurs instituteurs durant 32 ans. Il a aussi écrit des brèves pour plusieurs journaux satiriques ou humoristiques dont Charlie Hebdo. Dans les années 80-90, il accompagna le duo Font et Val au piano. Il anime sur Radio Balistiq l'émission "Le Balistiq café" tous les jeudi 19 heures
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