« La vie, la mort, la coiffure ET l’écriture » ou Jean-Pierre de Lipowski surpris en pleine réflexion sur différence entre fiction et réel, et ce en marge de son webroman « Otium » que cet article, au passage, vient éclairer d’un jour particulier.
J’emprunte allègrement le titre de ce chapitre au film d’Alain Resnais bien que, pour être honnête, ledit film m’ait laissé perplexe dans les années 80 de sa sortie. De mémoire, j’avais trouvé ça intellichiant, pour reprendre une expression de Guy Bedos, mais sans doute n’ai-je pas tout compris de son ambition, déstabilisé par son étrange construction en trois volets ; faudrait que je le revoie.
Anyway, j’aime le titre et, en l’occurrence, il va coller à mon propos.
Je regarde l’autre jour La Grande Librairie, cette aussi sobre qu’excellente émission littéraire de France 5, animée par François Busnel. Ici, on repense au mot, drôle mais fort cruel, de Coluche parlant du chanteur Danyel Gérard : « Il avait le choix entre le talent et le chapeau de Bob Dylan… Devinez ce qu’il a choisi ? »
Et bien Busnel avait le choix entre le talent et les lunettes de Bernard Pivot, et il a choisi les deux. Busnel amène en effet dans son émission une chaleur, une humanité, une pertinence, une gourmandise sur le littéraire qui nous rappelle les grandes heures d’Apostrophe. Pivot, d’Apostrophe à Bouillon de Culture, tiendra l’antenne durant 20 ans, interviewant avec vivacité les plus grands auteurs contemporains ; son émission s’arrêtera en 2001 décapitée par le couperet de l’Audimat, la télé du service public de l’époque se soumettant alors à la même guillotine d’audience que les chaînes privées.
On peut toujours chercher des émissions purement littéraires sur les chaînes privées, y en a pas, le privé est là pour faire de l’audience, et ce qui va avec, des sous, chose qui n’est guère compatible avec les rendez-vous littéraires qui cartonnent moins en part de marché que Koh-Lanta. Il ne reste plus donc que le service public pour rendre service au public.
Si en tant que téléspectateur je suis attaché au service public (notamment Arte, chaîne qui reste pour moi une des rares fréquentables), professionnellement je n’en suis pas un adepte. J’ai fait 25 ans dans la production télé de secteur privé, je pense que je n’aurais pu tenir aussi longtemps dans une chaîne du service public. La, soi-disante, garantie d’emploi du service public, ses 35 heures/semaine avec RTT, très peu pour moi qui, dans les moments de pression, pouvait atteindre tranquillos 70 heures hebdo. En même temps, pour justifier ce stakhanovisme, il faut dire que je faisais un job stressant mais aventureux et donc souvent passionnant, ce qui n’est pas le cas du type condamné à faire la même chose toutes les journées de toute sa vie.
Si tant est qu’on le puisse, ce qui n’est pas toujours le cas, on doit choisir entre le chemin à risques, où tu ne te fais pas yiech mais où tu peux te vautrer, et l’autoroute toute droite où les virages sont en longues courbes mais qui t’endort les yeux ouverts. Avec ma nature, j’ai souvent préféré, quand j’ai eu le choix, les routes mal carrossées, c’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui je roule en 4X4 (stop les écolos ! j’habite une région montagneuse où le 4X4 est toléré, contrairement au Boulevard St Germain où il ne sert qu’à grimper les trottoirs pour se rapprocher des contraventions).
J’ai donc toujours préféré l’aventure du privé à la sérénité (?) du public. Dans la télé de service public, on a les mêmes intrigues de palais, les mêmes baronnies à prés carrés, les mêmes bons professionnels et, a contrario, les mêmes totalement incompétents que dans le secteur privé ; dans le privé en revanche, tu échappes aux abus de pouvoirs syndicalistes, ceux là même qui se mettent en vrille dès qu’ils se pètent un ongle, et tu te tapes beaucoup moins de réunionnites à 40 pour savoir si on peut envisager de se couper les ongles aujourd’hui ou s’il est plus sage de remettre cette décision à la réunion suivante.
Je vais me faire des amis chez les syndicalistes avec des propos pareils… Pour relativiser le radical de mon apparente position, je ne vais pas faire dans l’original mais dans les réserves habituelles, que je partage : je suis pour les syndicats qui contrebalancent le pouvoir patronal, cela concoure au nécessaire équilibre d’une société moderne, mais il ne faut pas que le fléau de la balance se voit influencé par des pressions idéologiques, pour ne pas dire politiques. C’est simple quand on l’écrit comme ça, beaucoup moins au réel car l’immiscion du politique dans les revendications peut se faire subtile et donc la ligne jaune n’est pas facile à repérer.
J’ai mauvais fond puisque tout le monde sait bien que les organisations syndicales n’entretiennent que des rapports lointains avec les partis politiques.
Je ne sais plus qui a sorti cette sentence drôle même si un peu caricaturale : La France est le seul pays où le communisme ait réussi. On pourrait presque en filer la paternité à de Gaulle tellement il se méfiait du PC. L’idée de Marx est belle et magnifique, chrétienne même dans ses ambitions de justice et de partage, sauf que dans son concept il a oublié un facteur capital, sans jeu de mot : c’est l’homme qui va devoir le mettre en pratique. Même si, argument d’importance, cela a permis de renverser des pouvoirs féodaux et d’apporter à des peuples des raccourcis vers la modernité, la suite de l’histoire a induit l’autoritarisme, voire la dictature, vu que l’humain est loin d’être prêt à partager le peu ou prou qu’il détient, qu’il s’est fait chier à obtenir, et qu’il compte bien transmettre à sa descendance. Peut-être qu’un jour… mais c’est pas demain. Je n’arrive plus à retrouver dans l’épaisseur de ses Essais ce passage où Montaigne, vivant dans une époque de folie qui était celle des guerres de religion, dit qu’il ne cautionne pas les Révolutions mais leur préfère le Réformisme. Les révolutions, passées les réjouissances de l’instant, amènent la plupart du temps la Terreur, et pour ne prendre que la nôtre, celle de 89 dont nous sommes si fiers, font renaître immanquablement un pouvoir autocratique, en l’occurrence et chez nous : Napoléon. Ici, on pourra me cataloguer de réac, pourquoi pas, mais à vingt ans, à mon époque gauchisante, je ne croyais déjà pas au Grand Soir, lui préférant les petites soirées, autant dire qu’avec l’âge et désormais le vieux con que je suis parfois, ça c’est pas arrangé.
Ma poussée d’anticommunisme primaire n’embrasse pas, loin de là, toute la complexité de notre société moderne. Il est évident qu’à l’époque où apparaît l’automobile vont disparaître les calèches à chevaux, les cochers se mettant en grève avant de finalement devenir taxis (pour la petite histoire, on notera que de grandes sociétés de taxis, telle la G7, ont encore leurs siège social à Levallois-Perret où étaient stationnés les chevaux des calèches en 1900). En revanche et au hasard, qu’une aciérie, sans doute déficitaire mais fabriquant un acier dont on a encore besoin, soit fermée par son propriétaire – en l’espèce un groupe international bénéficiaire – parce qu’il entend préserver le niveau de ses dividendes, est à gerber.
Comme d’habitude, tout le monde à raison ou si vous préférez personne n’a tort, que ce soit les syndicats ou le patronat car il n’y a pas de Vérité Absolue, avec de belles majuscules, il n’y a que de la vérité relative. Ce qui fait que le curseur, fonction des circonstances, ne peut pas avoir de position intangible mais doit pouvoir bouger, un coup à gauche, un coup à droite. Une société raisonnée doit s’arranger avec cette dualité yin-yang et se méfier du populiste manichéisme pour plutôt se convertir au taoïsme.
On remarquera que je suis complètement en train de sortir de mon propos initial, la vie est un roman, mais fallait pas me lancer sur le thème de la télé, aussi (dit-il en se parlant à lui-même), car va savoir où ça m’entraîne. Pour en finir toutefois avec cette digression télé, j’ai envie de dire qu’il faut regarder les chaînes de service public, mais si on peut éviter de travailler dedans…
Revenons-en à l’émission La Grande Librairie : Busnel, ce jour là, reçoit la plutôt belle iranienne Maryam Madjidi pour son livre Marx et la poupée (Éditions Le Nouvel Attila). La toute première question de Busnel est la suivante : Pourquoi appelez-vous ça roman alors que c’est en fait votre vie que vous racontez. Pourquoi n’avoir pas dit tout simplement « Biographie » ?
Je ne sais plus ce qu’à répondu la brune iranienne mais je sais ce que moi j’aurais renvoyé : Mais la vie est un roman !
Quand, à l’été 2012, je quitte en courant la production télévisuelle et que je me replie dans la Drôme provençale pour – enfin – écrire, j’ai, toute prête, une liste d’idées pour de potentiels romans. En parallèle, j’ai amoncelé depuis des décennies des notes, des vidéos, des photos, des sons pour en faire… quoi, au fait ? Servir de matériel à des romans ou être l’aide-mémoire du récit Ma vie, mon œuvre, mes ongles cassés ?
Je me suis alors dit alors une chose, qui est un parfait cliché : Tout auteur projette dans ses fictions une bonne part de lui-même.
De fait, dans Histoire à vous couper l’envie d’être pauvre qui est un polar et donc une totale fiction, on retrouve un héros qui me ressemble, avec humour noir, cynisme tempéré par la tendresse, évidente mauvaise foi et petites lâchetés. Dans le roman Louvre Story, c’est encore moi qui règle des comptes avec toutes ces mythologies, notamment les religions, qu’on nous demande de prendre pour argent comptant. Dans mon scénar Pure et simple (le film n’est pas encore fait, cherchez pas sur Google), outre le décor d’un pensionnat ressemblant fort au Collège de Juilly de mon enfance, il y a la quête du père qui surgit inconsciemment de la plume de l’ex-enfant de l’Assistance publique que je suis. Je dis inconsciemment car il faudra que le script du film soit terminé pour que je prenne toute la mesure du labyrinthique méandre souterrain (l’action de Pure et simple se déroule dans une cave) que le labyrinthique méandre de la pensée accroché, en aveugle, au fil d’Ariane des souvenirs, m’avait fait écrire. Sans doute vaut-il mieux être aveugle à son inconscient qu’en pleine lucidité avec celui-ci ; en pleine lucidité – si tant est que ce soit possible – t’écris rien. En tout cas moi. Et si t’écris rien, en tout cas moi, tu ne prends pas ton pied. Car écrire est un plaisir masochiste, c’est en effet pas facile d’aller cimenter des idées en mots et phrases, avec un certain sens – de préférence – du rythme et de la musique, pour finalement accoucher d’un ensemble dont tu es sur le coup plus ou moins content, et qui, parfois mais pas toujours, finit par rire à tes yeux quand quelques temps plus tard tu relis ta prose. On déboule ainsi sur la question Pourquoi t’écris ? que nous ne traiterons pas dans cet article mais la semaine prochaine, si vous voulez bien.
A suivre…
A retrouver le webroman «Otium», de Jean-Pierre de Lipowski, ou, selon les dires de l’auteur, il raconte «sa vie, son œuvre, ses ongles cassés», avec force photos, archives son et vidéos et, accessoirement, humour.
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