« La vie, la mort, la coiffure ET l’écriture » ou Jean-Pierre de Lipowski surpris en pleine réflexion sur différence entre fiction et réel, et ce en marge de son webroman « Otium » que cet article, au passage, vient éclairer d’un jour particulier.
Les écrivains se projettent dans leur fiction ? Évidemment bien sûr…
En 2012, je m’éloigne du stress quotidien de la prod télévision pour rejoindre le Sud et l’écriture. OK, mais on écrit quoi ? Un roman ou une biographie romancée ? On doit préciser ici qu’ayant amassé, durant des années, en images et sons de quoi soutenir une mémoire défaillante, ma grande œuvre se devait d’être à terme un récapitulatif de ma vie elle-même. Ma grande œuvre… je sais pas vous, mais moi je souris car le terme grande œuvre me semble un peu mégalo au regard de l’écriveur, pour reprendre le mot de Pierre Desproges parlant de lui-même, que je suis. Coluche dit dans un de ses sketches : L’intelligence, c’est la chose la mieux répartie chez les hommes parce que quoi qu’il en soit pourvu, il a toujours l’impression d’en avoir assez, vu que c’est avec ça qu’il juge. Jean-Paul Sèvres, un copain humoriste passé un peu, et c’est dommage, aux oubliettes du show business, me racontait qu’un jour Coluche lui avait dit : Ça t’emmerde pas si je te pique une idée pour l’exploiter mieux que tu ne pourras le faire ? Car le génie de Coluche, c’est aussi ça, pas que ça certes, mais souvent ça, soit cette capacité mémorielle d’aller piquer à gauche et à droite des matériaux pour reconstruire une maison à soi. En l’occurrence, sa sentence, brillante, sur l’intelligence est empruntée à Descartes, il ne s’en cachait d’ailleurs pas puisqu’il la reprend mot pour mot et ne prétend pas l’avoir pondue avec ses petites mains. Remercions le au passage d’avoir été ainsi le pourvoyeur d’une pensée qui, sans lui, serait restée la sage propriété des exégètes du Discours de la méthode.
J’ai retrouvé une photo de Jean-Paul Sèvres, ici entre Patrick Font et Philippe Val, dans notre pièce jouée au Vrai Chic Parisien (café-théâtre créé par Coluche) : « La Démocratie est avancée ». Et quel rôle joue Jean-Paul Sèvres dans son costume du 17e ? Descartes ! En une photo, j’évoque Sèvres, Coluche et Descartes, c’est marrant les coïncidences… à moins que ce ne soit un coup de mon inconscient.
Mais le consortium Descartes-Coluche n’a pas toujours raison vu que malgré notre intelligence limitée par elle-même, donc, on peut toutefois aller au-delà pour pressentir que de l’autre côté de ce no man’s land à la frontière de notre capacité de raisonnement, il existe de riches terres habitées par plein de gens. Quand je considère les écrits des grands auteurs, soit ceux que l’engouement des lecteurs a sacralisés, je ne peux, malgré ces limites de l’intelligence pouvant m’amener à l’autosatisfaction sur mes écrits, que laisser place à la lucidité de reconnaître que je suis un écriveur, et encore, en m’apparentant ici à Desproges, je fais là injure au talent d’un non pas écriveur mais authentique écrivain.
Aussi me dis-je, pourquoi perdre son temps à se dissimuler, plus ou moins, dans des romans et pourquoi ne pas attaquer directement par la grande œuvre elle-même ?
C’est ici enfoncer une porte même plus ouverte mais battant à tous les vents que de dire combien la vie, avec ses multiples rebondissements, est largement aussi palpitante que les imaginaires embûches des fictions ; je parle ici des fictions où il se passe quelque chose, pas des chiantes plates comme la Vendée (au syndicat de mes ennemis révolutionnaires que je me suis fait dans l’article précédent, vont maintenant pouvoir adhérer les Chouans). Je reviens une nouvelle fois sur ce que dit Robert McKee, pape des scénaristes auquel je fais parfois référence ; il dit quelque part de façon moins vulgaire que je vais ici le transcrire : Je ne comprends pas comment certains auteurs en arrivent à faire des scénarios chiants alors que la vie elle-même ne l’est pas. Dont acte. Après, il est vrai, encore faut-il avoir un minimum de… talent ? de style ? de non-respect des conventions, d’outrecuidance, pour mettre en scène la vie, réelle ou pas, quand bien même il s’avère douloureux de le faire, et on en revient au pensum sado-maso qu’est l’écriture.
Au-delà du talent à l’écrire, la vie de tout un chacun, avec ses joies et drames, avec ses impromptus-surprises, avec ses retournements de situation qui te font souscrire à la force du destin et du hasard, le vie de tout un chacun, disais-je, peut être un roman. D’ailleurs, pour échapper aux drames et aux larmes, il faut mieux parfois se faire un instant schizophrène, soit se dédoubler, pour s’observer acteur d’une comédie humaine dont le scénario vous échappe pour la bonne raison qu’on ne vous l’a pas donné à lire avant, et qu’on se retrouve obligé d’improviser un texte qui s’écrit au fur et à mesure de ton avancée dans la vie. C’est ce que j’ai fait souvent, notamment dans les moments difficiles, en me projetant en dehors de moi-même pour, calé dans un angle de la pièce, observer mon double tentant de jouer son rôle au mieux, avec cette vision en plongée propre aux caméras placées en hauteur. Mais peut-être que j’exagère, tout le monde n’est peut-être pas schizo comme moi, et le fait de l’être, seulement par moment je vous rassure, c’est peut-être ça aussi qui fait l’écriveur, témoin de lui-même et, si prétentieux, témoin de son époque.
Ce fut donc cet amoncellement d’évidences qui m’amena à la première idée d’Otium, mon webroman. La seconde – et bonne – idée d’Otium, c’est justement son format de webroman. Cela s’imposa d’emblée car le matériel que j’avais accumulé, mes photos, films, sons, ne devait pas être passif (juste un aide-mémoire) mais actif, entrer directement dans le récit, en être autant témoin qu’acteur. Jusqu’à il y a peu, il n’y avait que le film documentaire pour réunir texte et audiovisuel, mais désormais il y a Internet, le parfait outil pour ma Recherche. A petits bras… les moins littéraires d’entre vous ayant remarqué que je ne suis pas Proust.
Une fois qu’on part dans ce sens, on s’aperçoit vite qu’on s’est créé un autre problème, qui lui va nous ramener à la fiction. Qui s’avère éminemment confortable, hors le fait de l’écrire qui ne l’est pas comme évoqué plus haut. Dans une fiction, on peut créer autant de personnages que l’on veut, inspirés de la vie réelle, il suffit de changer quelques détails et surtout les noms. Dans un roman autobiographique, tu te rends vite compte que tu vas être un rien gêné aux entournures. Quand tes personnages, réels, sont morts, c’est déjà plus simple, mais pas réglé pour autant car tu ne peux pas jongler avec la vie privée des gens sous prétexte qu’ils sont six pieds sous terre. Quand ils sont encore vivants, je vous dis pas.
Concrètement, quand j’ai fini de pondre un chapitre mettant en jeu des gens de ma famille, ou que j’ai connus, croisés, je m’applique à faire relire les choses aux intéressés, ou à leurs descendants quand il s’agit de disparus. Et j’attends leur validation, éventuellement assortie de réserves, de précisions, de corrections d’erreurs, avant de mettre en ligne. S’il vous arrive de tomber sur un chapitre codé dans le webroman, soit protégé d’un mot de passe, c’est que justement le chapitre en question est en phase de validation. C’est ici la limite de l’exercice d’un roman autobiographique, ce regard des protagonistes, vu que je ne peux pas dire n’importe quoi sous prétexte de raconter une vérité qui n’est, somme toute, que ma vérité.
Jusqu’à présent, j’ai été rarement amené à amender mon texte premier, preuve que je n’avais pas écrit trop de bêtises, ou que si j’avais été vache, l’humour glissé entre les lignes avait aidé à faire passer l’addition, ou la sauce à faire passer le merlan, comme disait Ricet Barrier en ressortant ce proverbe imagé. Je dois dire aussi que la rosserie de certains épisodes est tempérée par la bienveillance – la plupart du temps – pour ces humains que je raconte. Je pense que chacun fait comme il peut, avec sa vie, et, partant du principe, avéré, que je suis loin d’être parfait, je reconnais à tout le monde le droit de l’être aussi peu que moi.
Ricet Barrier
On en arrive au Peut-on tout dire ? Je réponds clairement Non. Doit-on occulter des pans d’histoire, ou travestir la vérité ? Bah oui, souvent ça vaut mieux.
Le philosophe indien Jiddu Krishnamurti disait J’affirme que la Vérité est un pays sans chemin, et qu’aucune route, aucune religion, aucune secte ne permet de l’atteindre. D’accord avec Jiddu, tous ceux qui prétendent détenir la vérité me consternent, surtout à l’heure des fake news Internet, et je pense qu’ils devraient se twitter sept fois le mobile dans la poche avant d’émettre leur suffisance sur les ondes.
Jiddu Krishnamurti
Le soudain débarquement de Wikileaks sur Internet, soit ce Robespierre Julian Assange entendant sauver le monde en révélant la face cachée des services secrets, m’a trouvé, je l’avoue, perplexe. Pour qui roule-t-il, l’homme, en dehors de pour lui-même ? Quand c’est marqué Secret sur un service, c’est sans doute qu’il y a une bonne raison. Si l’on devait tout révéler des coulisses de notre monde, déjà qu’on s’endort pas toujours rassuré, on toucherait à l’insomnie totale. Bon, sans doute que les lanceurs d’alerte ont leur utilité, notamment quand ils dénoncent l’aspect Big Brother et/ou Big Data de nos sociétés, mais encore faut-il en prendre puis sérieusement en laisser, un tri que le 4e pouvoir, à savoir les médias, se garde bien de faire vu que tout cela reste, au final, un juteux business en ce qui les concerne.
A suivre…
A retrouver le webroman «Otium», de Jean-Pierre de Lipowski, ou, selon les dires de l’auteur, il raconte «sa vie, son œuvre, ses ongles cassés», avec force photos, archives son et vidéos et, accessoirement, humour.
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