La vie est un roman (4/4)

par | 12 Juin 2018

Dans la mémoire de Lipowski

« La vie, la mort, la coiffure ET l’écriture » ou Jean-Pierre de Lipowski surpris en pleine réflexion sur différence entre fiction et réel, et ce en marge de son webroman « Otium » que cet article, au passage, vient éclairer d’un jour particulier.

Écrire est un plaisir égotiste, une branlette récompensée parfois par un orgasme, car on ne jouit pas à tous les coups. Quand on commet un roman ou un scénar, c’est une pure jouissance, pour peu que cette putain de locomotive (voir article précédent) veuille bien rouler, de faire sortir du néant des personnages qui n’attendaient que toi pour apparaître. Mais attention, il faut savoir que les personnages sont retors, caractériels, c’est pas pour rien qu’en Anglais on appelle ça caractere. Combien de fois ai-je dû m’engueuler avec eux lorsqu’ils refusaient de faire ou dire ce que je venais d’écrire. Et, sans mentir, ça donne des scènes comme ça : je quitte le clavier car Machin me dit, depuis la page blanche : « Ah mais ça c’est pas possible, je ne peux pas faire ça, ça ne colle pas avec mon profil, ni avec mon background. » Alors, je m’énerve, parle tout haut, joue la scène en tournant dans mon bureau pour lui démontrer que : « Si, c’est tout à fait faisable, et que, de toute manière, c’est moi l’auteur et que je l’emmerde ». Peine perdue, cet abruti – ou cette abrutiE, vu que quand il s’agit d’une femme c’est pire car en tant que mec je traduis moins bien leurs passions – cet abruti, disais-je, m’a foutu le doute et, passée ma crise d’autorité, coupable, je me dis : « Peut-être qu’il a raison mon personnage, ce que je lui fais dire n’est pas juste. Vérifions son profil, harmonisons l’action avec son passé. » Qui chantera ces crises schizophréniques de l’auteur en butte avec ses créatures ? Mary Shelley l’a fait avec Frankenstein ? Ah oui, exact. En tout cas, je peux vous dire qu’il ne faut pas croire tout ce que les personnages d’un roman racontent sur l’auteur, c’est rien que des mensonges !

ix personnages en quête d'auteur de Luigi Pirandello
Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello

Mon esprit romanesque m’a révélé que tous les personnages de toutes les œuvres existent bel et bien, dans un univers parallèle. Ils se réunissent régulièrement, Don Quichotte avec Léopold Boom, Mickey avec Hamlet, Dark Vador avec Tom Sawyer, ils boivent le thé en fumant des pétards entrecoupés de loukoums et qu’est-ce qu’ils font ? Je le sais moi : ils disent du mal des auteurs. Et on dira après que les auteurs sont paranos ! Ils ont quand même quelques raisons…

Quand tu fais dans le roman autobiographique, c’est un poil différent. Tu n’as pas à inventer des personnages ou des situations, tu as juste à avoir une bonne mémoire. Ce que je n’ai pas. C’est un travail de vache, un boulot de ruminant. Tu as ingurgité des quantités d’herbes de vie fraîches, les a stockées dans la panse, reste à maintenant les rappeler dans la bouche où ça peut te foutre une mauvaise haleine, à les remâcher une deuxième fois avant que ça descende dans le bonnet, le feuillet et la caillette pour être finalement digéré. Parfois tu peux même en avoir des flatulences en ayant la faiblesse de laisser passer un mauvais jeu de mots, chose que Victor Hugo considérait comme un pet de l’esprit : Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole. Un peu vache de la part d’Hugo qui a dû en faire lui-même, des calembours, mais je suis content qu’Hugo, avec ses prouts de l’esprit, vienne ici soutenir ma métaphore sur cette digestion bovine qui est le propre des autobiographes.

ache methane

 On remarquera que je m’adresse souvent au lecteur, n’est-ce pas mon amour ? C’est plus fort que moi, ça marque mon tempo. En même temps c’est d’une lâcheté extrême puisque je sais qu’il ne peut pas me répondre. En tout cas pas du tac au tac. Mais c’est un dialogue encore une fois un rien schizophrénique entre moi-auteur et moi-lecteur, cet artifice me permettant de prendre du recul, de me juger moi-même, et de me faire éventuellement l’avocat de l’auteur si soudain le lecteur que je suis, un peu comme mes personnages qui m’échappent, s’étonne ou n’est plus en accord avec le texte.

 L’autre jour, quelqu’un de ma famille à qui je soumettais un chapitre avant le mettre en ligne se demande s’il est bien judicieux de révéler un secret de la même famille, et elle (c’est une femme) fait ça avec talent, la qualité du mail que je reçois d’elle l’attestant. Ma révélation la laisse dubitative puis elle laisse reposer vingt quatre heures, dit-elle, et concède au final que : « Oui, tout peut être dit quand le respect et l’amour triomphent du jugement. » Elle a raison je pense, en tout cas c’est ce que je m’applique à faire, sans sûrement toujours y parvenir. Les peuples heureux n’ont pas d’Histoire et donc les romanciers, vu que les peuples sont loin d’être toujours heureux, ont une grande latitude. Quand j’égratigne la mémoire, l’image de quelqu’un, c’est pour l’humaniser, tenter de le rendre au réel, voire le grandir avec cette dose d’humanité, partant du principe énoncé plus haut que j’autorise mes contemporains à être aussi peu parfaits que moi même.
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Et puis ça les rend crédibles car qui donc, en dehors des naïfs, peut considérer un tel ou une telle comme un super-héros des Editions Marvel ? J’ai eu une autre histoire avec un autre personnage d’un autre chapitre dans lequel j’évoquais un travers de sa personnalité. Ledit personnage vivant, je lui ai soumis le texte. Il a brassé, m’a fait la gueule. Tenant au chapitre, j’ai dû me censurer sur un paragraphe. Mais je pense qu’il a eu tort ; en s’auréolant du chapeau de cowboy, il commettait pour moi une erreur, perdait la faiblesse nécessaire à cette humanité que nous recherchons toujours.

Est-ce qu’on écrit pour donner un sens à sa vie dans cette vie qui n’a pas sens ? Oui, je pense mais, pour ma part et comme je le dis à la Préface d’Otium, la transmission orale c’est bien mais j’ai un peu plus confiance à ce qui est gravé dans le marbre. Pour l’heure, car même le marbre finit par se déliter. De fait, que restera-il de nous, pas demain mais plus tard ? Il ne faut pas s’inquiéter du futur d’un roman, il faut juste à présent, pour le plaisir, l’écrire.

Je crois en avoir fini avec cette comparaison biographie-roman figurant en chapitre de mon webroman ; si je change d’avis, je viendrai rajouter quelques paragraphes, cette souplesse soulignant au passage un autre avantage du roman Internet : tu fais des rajouts ou modifs quand tu veux. Balzac, avec ses incessantes modifications d’épreuves qui faisaient s’arracher les cheveux de ses éditeurs, ou Proust, qui s’avère être l’inventeur du post-it avec les paperolles truffant ses manuscrits, auraient adoré le webroman.


Manuscrit A la recherche du temps perdu

Bonus

Ci-dessous, un bonus qui ne correspond qu’à la partie idéologique de la première partie de ce récit, celle où je me suis fait des amis chez les idéologues ; pour ceux qui connaissent, il est toujours bon de se repasser ces 4 minutes 30 secondes de pur chef d’œuvre d’écriture, d’humanisme et de sourire sur l’embrigadement façon Brassens. Pour les nouvelles générations qui ne connaissent pas, perdre 4 minutes 30 secondes peut parfois te sauver la vie.

par Jean-Pierre de Lipowski

A retrouver le webroman «Otium», de Jean-Pierre de Lipowski, ou, selon les dires de l’auteur, il raconte «sa vie, son œuvre, ses ongles cassés», avec force photos, archives son et vidéos et, accessoirement, humour.

Liens: webroman de J-P Lipowski

Par Jean-Pierre de Lipowski

Par Jean-Pierre de Lipowski

Après des débuts fort peu prometteurs en tant que comédien au café-théâtre dans la troupe du « Vrai Chic Parisien » de Patrick Font et Philippe Val, Jean-Pierre de Lipowski (également identifié par la D.G.S.I. sous le nom de Jean-Pierre Moreau), va sagement orienter son parcours vers la production. Aux côtés de Daniel Colling, il fera partie de l’agence artistique « Ecoute S’il Pleut », sera membre fondateur du festival « Le Printemps de Bourges », attaché de presse et programmateur du « Théâtre de la Gaîté Montparnasse ». Après une année à « Europe 1 » dans l’émission de Michel Lagueyrie « Le Syndrome de ma sœur dans la caravane passe », il s’oriente – par pure vénalité – vers la production télévision. Directeur des productions puis producteur pour une société qui souhaite ici rester anonyme (KM Productions), on le retrouve aux génériques d’une tripotée de productions, tels « L’ouverture de la Coupe du Monde de Football 1998 », « Le Passage à l’An 2000 » en mondovision, « La Nuit des César », « TV Festival de Cannes », chaîne officielle du festival, « La Folle Journée de Nantes » ou encore « One Shot Not », la série musicale de Manu Katché pour Arte. Auteur en parallèle, il signe le roman « La Grande Boulange » (Éditions Presse de la Renaissance) et la rubrique média du Charlie-Hebdo 2.0 (1992), tout en étant dir’com de cette équipe peu recommandable. Désormais replié dans le sud pour une retraite, studieuse mais méritée, il travaille à l’élaboration du long métrage « Pure et simple » dont il est scénariste signe les romans Louvre Story et Histoire à vous couper l'envie d'être pauvre et poursuit au quotidien l’écriture d’un webroman baroque, « Otium », où il offre à l’admiration des foules moult récits sur le thème « Ma vie, mon œuvre, mes ongles cassés »
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