Si l’on donnait un euro à un dessinateur chaque fois qu’il doit répondre aux questions «un dessin vaut-il mieux qu’un long discours?» et «peut-on rire de tout?», le métier de dessinateur de presse serait l’un des plus lucratifs qui soient. Mais voilà, depuis le 7 janvier 2015, en plus de devoir répondre aux interrogations de Confucius et de Pierre Desproges, un dessinateur a droit à une question bonus: «ne craignez-vous pas de vous faire flinguer par un lecteur un brin susceptible?»
C’est dans ce contexte particulier, pour ne pas dire aberrant, que sort aux éditions Michel Lafon un recueil de dessins d’Olivier Ranson intitulé «C’est encore meilleur quand c’est pas drôle». Avec à-peu-près 230 dessins répartis en 12 thèmes, Olivier Ranson, qui adore répondre aux questions sans que l’on n’ait eu le temps de les lui poser, prend le contre-pied des interdits et autres autocensures qui jalonnent notre société.
Pour Ranson, la problématique est assez simple: vous pensez ce que vous voulez des promesses mais les tabous n’engagent que ceux qui les formulent! Est-il encore possible de caricaturer Mahomet? Ranson le dessine en couverture de son livre. Peut-on rire des croyances? Ranson n’en épargne aucune. Peut-on rire de l’handicap? Ranson vous le prouve page 16. Peut-on rire de la mort? Allez directement à la page 95… ainsi de suite à toutes les questions que vous vous poseriez sur nos limites tout au long des 159 pages de «C’est encore meilleur quand c’est pas drôle.»
Plus qu’une simple compilation de dessins, Ranson propose une feuille de route d’un métier qu’il sait sérieux puisqu’il a la prétention de nous faire rire. La plupart de ses dessins peuvent être perçus comme des éditos à part entière. Il y en a un que j’affectionne particulièrement: on y voit deux islamistes regardant un homosexuel… mais alors que l’un de ces deux calamiteux a l’air émoustillé l’autre lui dit «si tu bandes, tue-le.» La haine, la bêtise, le rejet, la frustration, tout est dit.
Au siècle dernier, Marcel Achard disait que pour faire rire, il tuerait père et mère… en ajoutant «heureusement que je suis orphelin.» Mais, aujourd’hui, les humoristes se demandent sérieusement s’ils ne vont pas se faire tuer pour un bon mot. Eh oui, comme disait Reiser, on vit vraiment une époque formidable.
Si provoquer le rire est à la portée du premier pétomane de chez Bolloré, y parvenir en heurtant le cortex est un art des plus exigeant. Un dessin n’est pas un long discours, c’est une «punchline», une vanne, une envolée et à ce jeu-là Olivier Ranson excelle. Avec «C’est encore meilleur quand c’est pas drôle», Ranson nous démontre avec désinvolture que la droiture et le courage ne sont pas antinomiques de la fantaisie. Car oui on peut rire, blaguer, refaire le monde comme on sait le faire entre amis devant un bon verre de vin mais plutôt crever que d’y mettre de l’eau dedans!
«Mettre de l’eau dans son vin» est sans doute l’un de nos dictons les plus cons, et Ranson, en fin gourmet, n’est pas homme à faire un tel impair au profit de la bienséance. Oui ce n’est pas très poli de s’amuser à choquer les âmes sensibles, de prendre du plaisir en offusquant les braves gens mais qu’importe en comparaison de l’ivresse qu’on en retire lorsque l’on a l’honneur de servir d’exutoire aux autres lecteurs.