Beigbeder, collages et pilori

par | 9 Mai 2023

Frédéric Beigbeder publie chez Albin Michel un essai de 150 pages intitulé Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé. Le titre et la couverture nous avertissent qu’il s’agit d’un genre littéraire où l’intime sera au premier plan tout en prévenant qu’il sera enrobé par du second degré. Beigbeder débute ses confessions en racontant que sa maison et sa voiture furent vandalisées, une nuit de 2018, pour lui reprocher certaines de ses positions intellectuelles et quelques-unes de ses amitiés (l’écrivain et violeur Matzneff).
Après nous avoir mis en garde contre la censure et l’autocensure qui en découle : « moraliser le monde est souhaitable, aseptiser la littérature ne l’est pas » ; il raconte ses retraites spirituelles, suite à ses dépressions, dans des nids à bites (monastère et armée), pour conclure par une réflexion sur le désir, les fantasmes, via une essentialisation de l’homme et de la femme, pour dire, en résumé, que la plus belle conquête de l’homme n’est pas le cheval mais la femme quand elle se retrouve dans son lit. Telle serait la quête, l’inaccessible étoile, du désir de l’homme hétérosexuel. Bref, rien de bien méchant.

Que l’on soit d’accord ou non avec quelques passages du bouquin, le tout donne envie de discuter voire d’en débattre, et il me semble que c’est le but d’un essai. Ainsi la librairie bordelaise Mollat avait organisé, le 21 avril 2023, une rencontre littéraire avec l’auteur. Mais le Collectif Collages Féministes Bordeaux en a décidé autrement en placardant les murs de la libraire de tout un tas d’inscriptions pour dénoncer « la culture du viol ». Alors que l’on aurait pu craindre à une annulation de l’évènement comme ce fut le cas – après menaces – du concert de Bilal Hassani à Metz, début avril, l’évènement a eu lieu mais fut interrompu par des militants aux cris de « violeur ceci cela » désolé, exécrant la pub, je n’ai pas la mémoire des slogans.

Dans un tract justifiant leur action, le Collectif Collages décrit Beigbeder comme un « homme cis hétérosexuel, blanc, valide, bourgeois et célèbre ». Existe-t-il un argument plus con que celui-ci ? Existe-t-il une description plus grotesque que celle-là ? On ne choisit pas plus d’être un homme cis hétéro, blanc et bourgeois que l’on décide d’être un homme trans pansexuel, noir, unijambiste et pauvre. Cette volonté de renvoyer les gens à ce qui est de l’ordre de l’inné est le dénominateur commun de toutes les discriminations. Il n’existe aucune plainte contre Beigbeder ni contre son livre mais la « ligue vertueuse du gentil bien contre le méchant mal » ne s’en soucie guère. La loi c’est elle, alors le verbe pauvre et la morale haute, elle se décerne l’autorité de décréter ce qui est correct et ce qui ne l’est pas pour la société. Le paternalisme au service de la lutte contre le patriarcat, allez comprendre.

Le problème des Collages bordelais et de la pensée woke en général, c’est cette volonté de vouloir nous « éveiller » à notre insu. Dignes héritiers des maoïstes et de leur révolution culturelle, voici revenu le temps des juges-jurés-bourreaux qui nous évitent de penser une société qu’ils ont déjà pensé pour nous. Entendre ces braves wokes accuser tout le monde d’être facho donne l’impression de se faire traiter d’escroc par Bernard Madoff.

Ce que dit Beigbeder c’est qu’être une victime ne doit pas être une carte de visite, un sésame pleure-pour-moi à exhiber en toute circonstance. Les marchands de larmes et leur positionnement victimaire pour remporter le grand concours de « l’être qui a le plus souffert » est une impasse. On peut avoir été victime ou être victime mais on n’est pas qu’une victime.

Les fachos, qu’ils avancent avec un drapeau rouge ou une chemise brune ont un point commun : ils sont certains d’être les détenteurs de la vérité. La seule, l’unique. Ils savent quels livres brûler, quels auteurs embastiller, quels mots censurer, et quelle ligne droite intellectuelle doit être infranchissable. Or, comme le disait Léo Ferré, l’emmerdant avec la morale c’est que c’est toujours la morale des autres.

Nos chantres du camp du Bien qui empêchent un auteur de parler sont du même acabit que l’ex élu du FN qui a tagué une peinture au Palais de Tokyo à Paris parce qu’elle ne lui convenait pas.
Ils sont les mêmes qui firent dire (de mémoire) à Marcello Mastroianni, journaliste dissident à Mussolini, dans Una giornata particolare de Ettore Scola : « je ne suis pas antifasciste, c’est les fascistes qui sont anti-moi ».
Ce sont les mêmes qui, le 28 octobre 1970 au Palais de Chaillot à Paris, huèrent copieusement la merveilleuse chanteuse de jazz Anita O’Day parce qu’elle était blanche. Ce qui fit dire au bassiste Charles Mingus en s’adressant au public : « Ce que vous faites à Anita, nous le vivons tous les jours nous les Noirs américains ».

Imams, curés, wokes… les inquisiteurs avancent toujours avec la vertu dans le poing qu’ils veulent vous balancer dans la gueule . C’est sympa mais la vertu est le seul bien que l’on perd sans avoir envie de la retrouver.

Par Anthony Casanova

Par Anthony Casanova

Anthony Casanova est le directeur de publication et le rédacteur en chef du journal satirique Le Coq des Bruyères.
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