Et tout le monde s’en fout

par | 11 Mai 2021

Venus me retrouver dans mon humble demeure parisienne, des amis italiens ont fait la rencontre, un soir de beuverie montmartroise, d’un triste sire aux allures peu fréquentables. Lequel a balancé un nonchalant mais agressif « Pizza Mafia ! » en découvrant leur provenance. Si l’expression est un poil vexante, elle a le mérite de pointer un élément déterminant de la culture transalpine : la mafia est partout. Quand on épouse ou qu’on renoue, comme moi, avec la « Péninsule », il est impossible d’échapper au sujet. C’est un fait véridique, attesté et tous les jours renforcé par de nouvelles enquêtes, arrestations et condamnations.

En ce moment même, dans la province de Catanzaro, dans la région Calabre en Italie, 355 personnes sont jugées au sein d’un bunker ultra sécurisé, toutes suspectées d’appartenir, de près ou de loin, à la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, considérée par certains observateurs comme la plus puissante au monde. Il s’agit du second maxi-procès que connaît le pays, après celui de Palerme en 1986-1987, conduit par l’éminent juge Giovanni Falcone, finalement assassiné en 1992. On peut comprendre que la France s’émeuve peu de l’événement, encore que le problème ‘ndranghetiste soit autant européen qu’italien (tout de même 80% du commerce de cocaïne sur le vieux continent !). Mais nos voisins ritaux ne semblent, eux-mêmes, pas troublés outre mesure par ce qui se joue dans les 3.000 mètres carrés spécialement construits pour l’occasion.

« Si l’État voulait vraiment combattre la mafia, il devrait se suicider », dixit l’écrivain et homme politique Leonardo Sciascia. Cette citation conclut le documentaire Italie et mafia, un pacte sanglant, sorti en 2016 et disponible sur le site de LCP du 8 au 13 mai. Les réalisateurs, Cécile Allegra et Mario Amura, y démontrent la responsabilité crasse de l’État italien dans la pérennisation du système mafieux, grâce, notamment, au jeune parti d’après-guerre démocrate chrétien qui s’adonnait lourdement au trafic d’influence et dont les membres étaient, pour la plupart, d’anciens camarades de jeux des barons sudistes. La guerre menée par Palerme contre Rome y est démystifiée, des documents prouvant la négociation entre l’instituions légale et l’organisation criminelle sont mis au jour. Le tout sur fond d’un procès, baptisé « État-mafia », commencé en 2012 et dont le jugement fut finalement rendu en 2018. Je ne donnerai pas, ici, les conclusions des juges. J’indiquerai simplement qu’elles sont en deçà de ce qu’on pourrait attendre, voire franchement insuffisantes.

Hier la Sicilienne, aujourd’hui la Calabraise, demain la Napolitaine. Les responsables de cette situation désastreuse sont aussi bien les politiques italiens véreux (c’est presque un pléonasme dans ce pays) que les habitants eux-mêmes, a minima désintéressés du problème qui les tient. Allegra et Amura racontent comment a été fondé, sur les cendres de la Démocratie Chrétienne, le parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia, lequel a gouverné quinze ans durant. Marcello Dell’Utri, proche du futur chef d’État, est notamment celui qui a permis le lien entre les derniers parrains de Cosa Nostra (dont Bernardo Provenzano, numéro 2 de l’organisation) et le parti nouvellement créé. Condamné à sept ans de prison, il est qualifié d’ambassadeur de la mafia sicilienne à Milan.  

Une fois élu, Berlusconi suspendra les lois antimafia, l’une des conditions sine qua non à la fin des attentats et assassinats menés contre l’État dans les années 1990. Il papello, seule trace écrite attestant des négociations qui eurent cours entre politiques et mafieux, en fait d’ailleurs mention. Une question sous-tend le documentaire : les assassinats des juges Falcone et Borsellino faisaient-ils, eux aussi, partie du contrat ?

Par Gaston Lécluse

Par Gaston Lécluse

Élevée en bonne petite gauchiste, Gaston Lécluse est devenue la fierté de la famille en infiltrant un journal de droite. La seconde partie du plan : épouser un lepéniste influent et continuer d’ausculter le patriotisme, le nationalisme et l’extrême droite. Même si, en vrai, c’est pour déguster des petits fours à l’Élysée quand Marine sera présidente. Pour elle, le blasphème est une religion et la prière une hérésie. Recrutée au Coq par mégarde.
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