Le juif tient les comptes… de ses morts

par | 27 Avr 2021

En juin 2017, Gérard Biard écrivait dans Charlie Hebdo* : « Il (re)devient dangereux de s’appeler Halimi dans la France du XXIe siècle ». C’était peu dire. Deux mois plus tôt, Sarah Halimi était tabassée à mort par Kobili Traoré, son voisin du dessous. Surnommé affectueusement « bébé » par ses proches, cet homme de vingt-sept ans s’est tout de même donné le mal d’entrer quasiment par effraction chez ses amis – qui habitaient le même pallier que la dame de soixante-cinq ans et furent séquestrés -, d’enjamber leur balcon avant de faire irruption chez elle et de la battre à coups de téléphone portable, en hurlant « sheitan » – « diable » – et « Allahou akbar ». La malheureuse fut ensuite défenestrée devant neuf témoins et des policiers de la BAC armés jusqu’aux dents. Ces derniers mirent une heure avant de pénétrer dans la cour, où gisait le corps disloqué.

L’histoire était abominable, elle est devenue incompréhensible. En 2017, on attendait encore les premières expertises psychiatriques. Biard remarquait que le débat montait doucement autour de la santé mentale de l’auteur. On se disait que cette affaire serait le champ de bataille des psys, tout en étant intimement convaincu qu’un procès se tiendrait. Que dis-je « intimement convaincu » ? Personne n’avait une seule seconde pensé que le procès n’aurait pas lieu. 

Et pourtant. 

L’ennui avec une affaire sans audience, sans jugement, c’est que l’on douterait presque de l’existence des faits. Comme si rien ne s’était passé. Comme si Sarah Halimi n’avait jamais été. Et puis, cette affaire atroce nous regarde nous aussi ! Moi-même, je brûle de comprendre. Pourquoi la BAC n’est-elle pas intervenue ? En quoi Kobili Traoré est-il fou ? Comment peut-on établir le caractère antisémite du crime sans que la responsabilité puisse être engagée ? Qui est cette juge, enfin, dont l’instruction est tant contestée ?

Un procès nous aurait apporté ces réponses, ou du moins une partie d’entre elles. Même si, in fine, l’accusé devait être considéré comme fou et donc irresponsable, au moins nous aurions les cartes en mains et nous pourrions, à loisir, juger de l’affaire à notre manière. Le plus étonnant dans les meurtres antisémites, ce sont les pudeurs qu’ont certains à qualifier l’acte. Biard l’évoquait aussi en 2017, concernant un autre cas sordide, celui d’Ilan Halimi, enlevé, séquestré, torturé, puis brûlé et laissé pour mort au bord d’une voie ferrée. Là aussi des voix s’étaient élevées pour qualifier Youssouf Fofana d’idiot plutôt que d’antisémite. N’oublions pas, également, l’attentat de la rue des Rosiers, où l’on soupçonne le gouvernement de l’époque d’avoir « acheté » la paix en n’inquiétant pas les responsables du massacre. Lequel avait fait six morts et vingt-deux blessés. Quant à la tuerie de l’école juive Ozar Hatorah, à Toulouse, où un professeur et trois enfants, de trois à huit ans, furent abattus à bout portant, celle-ci n’a pas provoqué de vague de soutien populaire. Au contraire, dans certaines écoles les élèves ont refusé d’observer la minute de silence dédiée aux victimes. Les attentats de janvier 2015, enfin, visèrent spécifiquement Charlie, mais aussi la communauté juive. Laquelle fut réduite, arbitrairement et le temps de l’attaque, à l’Hyper Cacher. Du juif, peu importe lequel, pourvu qu’on abatte le « sheitan ».

L’antisémitisme tue. Les exemples sont assez nombreux et les situations assez répétitives pour le reconnaître. Pour les amoureux des chiffres, ceux-là n’auront aucun mal à observer le nombre disproportionné d’actes malveillants contre les juifs par rapport à ceux visant d’autres groupes dits « minoritaires ». En 2019 notamment, alors que l’on compte au maximum 600.000 juifs en France et 4,1 millions de musulmans, les actes de haine visant les premiers étaient au nombre de 687 contre 154 pour les seconds. Et bien que les mobilisations autour de Sarah Halimi aient rassemblé plus de 25.000 personnes en France, la marche contre l’islamophobie de novembre 2019, où des militants islamistes arboraient fièrement des étoiles juives en signe de victimisation, a attiré, elle, 13.500 personnes rien qu’à Paris. Sans motif spécifique. Nombreux furent, d’ailleurs, les responsables politiques de gauche à s’y rendre. Dimanche 25 avril, seuls quelques-uns avaient fait le déplacement, dont Anne Hidalgo…qui fut huée par la foule, sans que l’on comprenne pourquoi.

*https://charliehebdo.fr/2017/06/politique/ils-sont-partout/

Par Gaston Lécluse

Par Gaston Lécluse

Élevée en bonne petite gauchiste, Gaston Lécluse est devenue la fierté de la famille en infiltrant un journal de droite. La seconde partie du plan : épouser un lepéniste influent et continuer d’ausculter le patriotisme, le nationalisme et l’extrême droite. Même si, en vrai, c’est pour déguster des petits fours à l’Élysée quand Marine sera présidente. Pour elle, le blasphème est une religion et la prière une hérésie. Recrutée au Coq par mégarde.
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