L’Ukraine et la fourmi

par | 14 Fév 2023

Le 24 février cela fera un an que l’Ukraine résiste à une guerre imposée par la Russie de Vladimir Poutine. Un an que le président ukrainien Volodymyr Zelensky réclame un soutien diplomatique, financier et, puisque son pays est en guerre, logistique… donc des armes.

Or, il se trouve que ça tombe assez bien puisque des armes, les pays qui ont pris parti pour l’Ukraine en ont, en fabriquent et en vendent. Mais voilà, si les armes se vendent un peu n’importe comment en temps de paix, en temps de guerre c’est différent. En temps de guerre, on est forcé d’admettre que les armes que l’on vend, si l’on s’en sert, eh bien ça fait des morts. Ça fait désordre.

Pour être précis, depuis quelques mois, Zelensky réclame surtout des avions de guerre. C’est ballot puisqu’il se trouve que la France a passé ces deux dernières décennies à essayer de refourguer son Rafale à tout le monde.

Rappelez-vous : tel pays passe une commande, tel autre décline, sans parler des pays qui « nous » disent oui pour finalement privilégier « nos » concurrents. Bref, depuis 20 ans, tous nos présidents ont joué aux VRP de luxe pour les avions de chez Dassault. La France a réussi à en vendre à l’Egypte, au Qatar, à l’Inde, à la Grèce, à la Croatie, aux Emirats Arabes Unis, à l’Indonésie ; « on » essaye toujours de les faire acheter par la Malaisie, la Bulgarie, l’Irak, l’Arabie Saoudite et la Serbie ; et « nous » avons échoué avec la Corée du sud, le Maroc, Singapour, le Brésil, le Canada, les Pays-Bas, la Pologne, la Belgique, la Suisse, la Finlande, la Colombie… la Chine mais aussi, c’était en 2010, avec la Lybie qui était aux mains du tyran Kadhafi.

Ne tombons pas dans l’angélisme, que l’on aime ou non nos présidents, on ne peut les blâmer d’essayer de nouer le dialogue avec les chefs d’Etat qu’ils soient à la tête d’une démocratie ou d’une dictature. Mais leur vendre des armes, c’est quand même une autre histoire. Comment peut-on, ne serait-ce qu’avoir eu l’idée, de vendre des armes à Mouammar Kadhafi ? Je ne parle pas de fusils servant à « maintenir » le pouvoir (même si le principe est douteux) mais des avions de chasse ! D’entrée de jeu, nous irions jusqu’à nous poser la question : pourquoi foutre ? Avait-on envie d’être, indirectement, les artisans d’un raid sur une population qui se révolte à juste titre ou sur un pays plus ou moins voisin de la Lybie ?

On ne va pas se mentir, si tu vends une bombe à une dictature tu peux être sûr que son utilisation va assurément te faire rougir.
En fait, il faut comprendre les ventes d’avions de guerre autrement : Lorsque « nous » les vendons, les pays n’ont pas besoin de « supers avions pourvus de missiles ». Il faudrait plutôt considérer cette vente comme un gros chèque fait à notre pays pour le remercier de son « amitié ». On vend des « armes de pointe » parce qu’il n’y a rien de plus onéreux ; nous pourrions leur vendre, au même prix, des pistolets à eau mais ça ne ferait pas sérieux, avouons-le. Le problème, c’est lorsque le jouet de luxe « oublie » sa raison officieuse (faire un beau chèque) pour retrouver son utilisation première : la guerre. Et qui a l’air d’un con à ce moment-là ?

Si l’Ukraine avait commandé nos beaux avions meurtriers il y a 10 ans, nous aurions été heureux de ce merveilleux contrat, et nous leur aurions offert quelques opinels en bonus pour faire la promotion du savoir-faire français. Mais là ! Là que l’Ukraine en a réellement besoin, de nos avions, pour se défendre, nous faisons la fine-bouche. On esquive, on chipote, on tergiverse, on pèse le pour et surtout le contre pour éviter de faire passer notre pays non plus pour un brave marchand innocent mais pour un camarade de combat. Un allié.

Les démocraties ne sont pas prêteuses c’est la leur moindre défaut, et si tu ne fais pas tes provisions en temps de paix, quand sonnera le tocsin sur ta gueule, tu n’auras plus qu’à danser. Tant mieux, les démocraties sont en général un très bon public.

Par Anthony Casanova

Par Anthony Casanova

Anthony Casanova est le directeur de publication et le rédacteur en chef du journal satirique Le Coq des Bruyères.
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