Tourner sa langue sept fois

par | 18 Jan 2022

Ses petites pensées virilistes ont-elles eu raison de son esprit stratège ? En déplacement à Honnecourt-sur-Escaut (Nord), vendredi 14 janvier, Éric Zemmour a été visiblement pris de court lorsqu’il a fallu discourir au sujet des élèves handicapés. Face aux enseignants, l’ancien polémiste et toujours journaliste au Figaro a, de façon hésitante, établi qu’ « il faut effectivement des établissements spécialisés, sauf pour les gens légèrement handicapés, évidemment ». 

On saura reconnaître la maladresse du propos, lequel vient accréditer la nécessité de plus d’argent public mis dans l’éducation, et notamment vis-à-vis des élèves en situation de handicap. Le reste de la phrase, elle, en dit long sur l’intérêt véritable du candidat nationaliste à ce sujet : « Pour le reste [des élèves handicapés], oui, je pense que l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants et à ces enfants-là qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants (sic). Donc je pense qu’il faut des enseignants spécialisés qui s’en occupent. » Passons sur la construction syntaxique bancale d’un homme sans connaissances de la matière. 

Le cœur de l’énoncé repose sur un mot, un seul : « inclusion ». Obsession zemmouriste et terme repoussoir d’une droite « hors les murs » vitupérante. Mais voilà que cette marotte a poussé le néopolitique à l’impair : chez les traditionnalistes, large frange de l’électorat Zemmour, l’enfant handicapé est sacré. Si bien qu’on n’avorte pas, quand même l’échographie aurait décelé de graves retards psychologiques ou moteurs. 

Sans doute le candidat a-t-il pris conscience de sa faute. Ne sont-ce pas les milieux catholiques extrêmes, ceux qui votent Jean-Frédéric Poisson et Christine Boutin, qui l’ont, au départ, porté sur le devant de la scène politique ? Dès l’été 2021, le rapprochement entre Via, la voie du peuple, ancien parti chrétien-démocrate (qui n’a de démocrate que le nom), le Mouvement conservateur, nouvelle incarnation de Sens commun, et Éric Zemmour prend forme. L’objectif est, sinon de gagner en 2022, au moins de recomposer la droite de l’échiquier politique, victime de la mollesse LR et de l’amateurisme Le Pen (cf : Étienne Girard, Le Radicalisé, Seuil, 2021). 

Des anciens de l’UNI s’activent autour du polémiste et de sa charmante conseillère, Sarah Knafo. Si le trublion du Figaro a une approche résolument séculière de ce fameux « combat civilisationnel » (il ne sera pas question d’invoquer Dieu, l’Apocalypse et le Jugement dernier dans cette élection), le reste de son discours rassure le milieu conservateur. Il sera leur candidat, après l’espoir déçu Marion-Maréchal et les désillusions sarkozysite et filloniste. Celui de l’ « union des droites ». Ralliements officiels au rassemblement de Villepinte. Jean-Frédéric Poisson, président de Via, et Laurence Trochu, à la tête du Mouvement conservateur, se succèdent en tribune. 

Faibles, mais suffisants témoignages de ce retour de « Travail, famille, patrie », devise chère au polémiste et à ses soutiens. Inconditionnalité, surtout, de cette « famille de souche » ancrée dans un mythe culturel français séculaire. Le handicap n’altèrera en rien cette fière lignée gauloise. Au contraire : charité chrétienne oblige, cet obstacle sera vécu comme une épreuve de Dieu imposée au parent. Lequel pouvant voir cette dureté du sort comme le signe d’un salut éternel déjà acquis. 

Comment, donc, peut-on imaginer parquer ces « enfants de Dieu » ? Oui, Zemmour a compris l’effet dévastateur de sa « sortie ». Le lendemain, le samedi 25 janvier à Villers-Cotterêts (Aisne), il nuance sa position : « Bien sûr, il y a des cas où le fait de les mettre dans un établissement ordinaire est une bonne chose car ça leur permet de progresser, de se socialiser. Et puis il y a d’autres cas, réels, plus nombreux qu’on ne le dit, où c’est une souffrance pour ces enfants. » Des excuses du néocandidat ? Ne jamais se dédire, telle est le leitmotiv du héraut nationaliste : « Ce que j’ai voulu dire, c’est que je ne veux pas que l’obsession de l’inclusion nous prive et nous conduise à négliger la nécessité d’établissements spécialisés. »
L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais la volonté de clarification pousse toujours plus loin l’ancien polémiste. L’émission Dimanche en politique, diffusée sur France 3, accueille dimanche 17 décembre le journaliste du Figaro. Lequel dénonce, une nouvelle fois, « l’idéologie égalitariste », responsable selon lui de la volée de bois vert reçue dans la foulée de sa déclaration du samedi.  « Qu’est-ce que j’ai voulu dénoncer ? Sous le prétexte de l’inclusion à tout prix, on ferme de nombreux établissements spécialisés. […] L’Éducation nationale fait des économies sur le dos des enfants qui souffrent le plus. » Ces justifications, qui font forcément douter de la sollicitude du polémiste, seront-elles suffisantes aux yeux des catho-tradis ?

Par Gaston Lécluse

Par Gaston Lécluse

Élevée en bonne petite gauchiste, Gaston Lécluse est devenue la fierté de la famille en infiltrant un journal de droite. La seconde partie du plan : épouser un lepéniste influent et continuer d’ausculter le patriotisme, le nationalisme et l’extrême droite. Même si, en vrai, c’est pour déguster des petits fours à l’Élysée quand Marine sera présidente. Pour elle, le blasphème est une religion et la prière une hérésie. Recrutée au Coq par mégarde.
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