Le courage particulier de Guy Bedos

par | 2 Juin 2020

Anthony CASANOVA est politiquement correct

Nous avons appris, ce 28 mai, le décès du comédien et humoriste Guy Bedos. Évidemment, l’émotion est grande tant le personnage représentait une sorte de quelque chose. Surtout à gauche dont il fut longtemps l’icône autoproclamée. Tout au long de sa grande carrière, Guy Bedos eut énormément d’estime, de fraternité et d’admiration pour cet homme humble, drôle et généreux qu’il appelait avec beaucoup de pudeur: «moi, je…». Peu importe le sujet, peu importe l’actualité, Guy Bedos qui avait l’avantage d’avoir tout vu, tout su, tout vécu, pouvait agrémenter sa réflexion d’une savoureuse anecdote le replaçant astucieusement au centre du débat au risque que «moi, je…» ne fasse un peu d’ombre à l’histoire.

Car Guy Bedos fut avant tout un rebelle. Un grand rebelle. LE rebelle, tout simplement. Guy Bedos, nous ne l’oublierons pas car il le répétait souvent, fut victime de censure de la part du pouvoir. Modeste et soucieux de ne pas trop en rajouter, il comparait son triste sort à celui des victimes du maccarthysme. Il fallait l’entendre, ce martyr, raconter sur les plateaux de télévision (sous l’ère Giscard) qu’il fut victime de maccarthysme lorsque Pompidou était président… puis de raconter (sous l’ère Mitterrand) qu’il fut victime de maccarthysme lorsque Giscard était président. D’ailleurs le nombre de ses passages à la radio et à la télé dans les années 70 -dont beaucoup sont visibles sur le site de l’INA- prouvent à quel point la censure était féroce et sévère envers monsieur Bedos.

Puis ce fut les années 80, et le duo Bedos et «moi, je…» connurent leur apogée grâce au statut privilégié de Rebelle officiel. Comme dans les années 60 puis 70, Bedos avait son rond de serviette sur chaque plateau de télévision mais, cette fois-ci, il l’avait aussi à l’Élysée.
Bedos avait des fulgurances savoureuses comme celle de déclarer qu’il ne connaissait pas tous les détails de la Yougoslavie mais qu’il se sentait proche de la gauche de Václav Havel et de la révolution de Velours (France Culture en 2014). Certes, il avait peu de détails sur la Yougoslavie mais apparemment encore moins sur la Tchécoslovaquie.
Bedos était tout à fait capable d’humilité lorsqu’il déclarait: «les Algériens m’aiment beaucoup», d’ailleurs il leur fit l’honneur de se produire à Alger tout en précisant qu’il ne dirait rien sur la dictature en place car il parlerait plutôt de… la Tunisie. Il était ainsi Bedos, un rebelle indécrottable. Bedos il était tellement rebelle, il représentait tellement la subversion, qu’il fut l’invité de marque dans toutes les émissions de Michel Drucker, c’est dire.

Certes, tout ceci n’est pas bien grave. Bedos avait une mégalomanie proche de celle de BHL, après tout, on s’en fout.
Mais voilà, lorsque Charlie Hebdo fut la cible d’un attentat au cocktail Molotov détruisant les locaux du journal, Guy Bedos critiqua alors le journal d’avoir dessiné Mahomet, les accusant de risquer la vie des autres avec des dessins pas drôles, en résumant sa pensée par: «Charlie Hebdo, qu’ils crèvent» car il n’avait pas de «leçons d’insolence» à recevoir d’eux.
En 2015, après que la rédaction de Charlie fut décimée par deux islamistes, on rappela à Guy Bedos les propos qu’il avait tenu 2 ans plus tôt au micro de Var-matin. Guy Bedos dut alors s’expliquer puisque sa sentence était devenue réalité. Attristé par les attentats, il ajouta qu’il trouvait «franchement dégueulasse d’avoir sorti ça, en ce moment» car «c’est très, très, très malveillant à mon endroit». Eh oui, Bedos fut choqué qu’on soit méchant envers Guy Bedos par la faute des propos de «moi, je…». Puis, après avoir rappelé le courage de «moi, je…», il déclara: «je n’étais pas dingue de ces caricatures de Mahomet, cela ne me paraissait pas être une urgence. […] Je comprends des hommes, des femmes musulmans qui sont choqués par tout ce qui se passe, qui n’adhèrent pas. […] Je comprendrai qu’un dessinateur ou journaliste puisse gommer ce qu’il veut diffuser par respect pour des êtres humains.» Au final, Charlie Hebdo n’aura pas fait que donner des «leçons d’insolence» à Mr Bedos, ils lui auront offert aussi une leçon de dignité.

Aujourd’hui, «moi, je…» est mort et Bedos ne lui a pas survécu, alors en l’honneur de son courage et de sa longue carrière, respectons ensemble une bonne minute de sieste.

PS: Le prochain numéro du Coq paraîtra dans 15 jours soit le 16 juin.

Par Anthony Casanova

Par Anthony Casanova

Anthony Casanova est le directeur de publication et le rédacteur en chef du journal satirique Le Coq des Bruyères.
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