Dieu saison 3 (1/2)

par | 19 Juin 2018

Louvre Story, le nouveau roman de Lipowski

« Louvre Story », le roman « drôlement » fantastique de Jean-Pierre de Lipowski, est paru. Cette semaine, « Le Coq des Bruyères » a le plaisir et l’avantage de vous en offrir un extrait. Résumé des épisodes précédents (que vous n’avez pas lus si vous n’avez pas encore couru acheter le roman) : Alice Van Bruegel, cambrioleuse de haut niveau, s’est introduit nuitamment dans les galeries du Louvre. Suite à un sérieux incident de parcours, elle est tombée dans le coma, un état où, comme chacun sait, on voit les fantômes. Et ça tombe bien puisque, la nuit, toutes les toiles du plus grand musée du monde sortent de leur cadre et se mettent à vivre. Nous débarquons ici en plein milieu du récit : le Jésus de Véronèse, en sérieux état d’ébriété, a mis le feu à son propre tableau, « Les Noces de Cana », incendie heureusement circonscrit grâce à une chaîne de solidarité de tous les chefs-d’œuvre du Louvre. Dieu (du Tintoret) arrive pour constater les dégâts et entend aborder un point de discorde qui, apparemment, survient entre lui et son fils.

 

Les Noces de Cana de Véronèse

« Dans quel état t’es tu encore mis ! tempête Dieu. Et les Noces de Cana… quel scandale ! Tu déshonores la famille ! Tu es en train de pourrir l’image de marque que je me suis tué à fabriquer.
Qu’Il s’est tué à fabriquer…!! ricane Jésus se mettant les bras en croix, arrête, arrête, tu enfonces le clou où ça fait mal.
— À propos, qu’est-ce que c’est que cette rumeur qui circule ? poursuit Dieu, cette histoire de contentieux entre nous ?
— Parlons pas de ça, tu veux.
— Je t’enjoins à vider ton sac, au contraire, persiste son divin père, je te rappelle que Dieu et Jésus ne font qu’une seule et même personne. J’ai eu le plus grand mal à imposer cette idée, et il y en a encore qui ne sont pas convaincus. Alors si, ne serait-ce qu’une seconde, tu accrédites la thèse qu’un différend puisse exister entre nous, Jésus, tu fais le jeu de l’opposition. Au-delà même des dissensions, nous devons rester unis ! »
Tout en parlant, Dieu s’est approché du tableau des Noces de Cana. Arrivé devant, il lévite le plus naturellement du monde, parvient au niveau du cadre qu’il enjambe, pénètre dans la toile.
« Oui, je connais le couplet, renvoie Jésus resté en contrebas, c’est une question de stratégie… Il ne faut pas désespérer Billancourt… Tu parles ! » Il s’élève à son tour et passe dans les Noces de Cana où Dieu est en train d’observer les dégâts.
« Quel carnage… fait-il en se retournant vers Jésus, bravo… Enfin passons… La partie est loin d’être gagnée, tu le sais ça. Tu as lu les sondages sur la croyance, dans l’humanité ? Ils sont éloquents. Alors je t’en prie, parle, mon fils.
— Déjà Mon Fils… Marie toujours vierge, Jésus fils unique de Dieu… Une famille nombreuse, oui !
— Comment ça une famille nombreuse ?
— Tiens, sans chercher plus loin, ici au Louvre : Jésus du Gréco, Jésus de Rembrandt, Jésus de Caravage, Jésus du Tintoret, de Vinci, du Titien, de Michel-Ange, etc. etc. Une centaine, pas moins ! Rien que dans la Grande Galerie, y a de quoi faire deux équipes de foot avec remplaçants, entraîneurs, soigneurs et arbitres de touche… L’A.S. Jésus contre Le Racing Messianique ! Y a juste à raccourcir les robes pour qu’on puisse courir, et c’est bonnard !
— Mais cette tripotée de Jésus, c’est bon signe au contraire. Ça prouve que de tout temps les artistes ont été inspirés par la Sainte Famille, par notre… label. Je te trouve extrêmement paranoïaque, sais-tu ? Moi-même je suis environné d’alter ego, dieux grecs, égyptiens, assyriens, hindous et autres métèques. Je n’en conçois pas plus d’amertume pour autant. Bien au contraire, nous songeons sérieusement à créer une association 1901… Dieu & Cie, par exemple. Nous serions tous présidents, naturellement.
— Et à quoi va servir une telle association ? s’enquiert Jésus en poussant du bout de la sandale les restes d’une chaise calcinée.
— Oh… comme les autres, à rien. Nous nous sentirions moins seuls, c’est tout. La solitude est l’apanage des dieux. Le statut divin est relativement flippant. Il ne se passe jamais rien dans nos vies éternelles… »
Dieu et Jésus avancent au milieu des décombres, évitant les flaques d’eau qu’à grands coups de balai des domestiques s’emploient à chasser. Sur la droite, côté colonnade, une équipe, dirigée par Véronèse, s’active déjà à monter un échafaudage de bois. Un grand malabar vient vers eux, balais en main : « Eh les deux là, vous nous donnez un coup de main ? On est pas de trop.
— Oh, dit Dieu l’index dressé, tu veux pas qu’on te fasse la vaisselle, aussi !? Nous, on est là pour sauver le monde, toi, tu le balaies, chacun son taf.
— Bah alors OK Bruce Willis, lui renvoie l’autre agressif, si tu bosses pas, tu restes pas dans nos pattes !
— Viens, glisse Dieu à Jésus, éloignons nous du vulgaire. »
Ils remontent tous deux l’escalier, débouchent sur une petite place vénitienne ouvrant sur le Grand Canal. Dans sa perspective, au lointain, un soleil rougeoyant descend sur la lagune. « L’éternité, poursuit Dieu, c’est quand même très long… et être omniscient est épuisant… Nous autres, Dieux, nous ne pouvons pas être touchés par le malheur comme les bienheureux mortels et, conséquence de la relativité des choses, on ne connaît donc jamais la moindre joie. Je me suis sacrifié pour t’envoyer en stage sur terre afin que tu découvres les souffrances des mortels, certes… mais aussi leurs joies.
— Je te remercie du sacrifice.
— Tu ne peux pas savoir… le trône… toujours souverain… sans compter qu’être assis toute la journée, c’est redoutable ! Tiens, comme dans un lit d’hôpital avec l’alèse qui fait transpirer… Tu vois ce que je veux dire.
— Hum…
— J’ai attrapé des escarres, confie Dieu en relevant sa toge, tiens, touche.
— Aaah… fait l’autre en se détournant.
— Touche, je te dis… »
Jésus touche sans enthousiasme le postérieur de Dieu, retire vite sa main, dégoûté. « Ça fait mal ? demande-t-il par pure convenance.
— Même pas. Ça fait même pas mal. C’est insupportable. »
Ils sont maintenant au bord du Grand Canal. Une gondole passe. Dieu avise une seconde les flots sans vraiment les voir, puis il s’élève légèrement et redescend pour aller se poser sur l’eau où, tout naturellement, il continue sa marche, Jésus restant un instant en arrière.
« Revenons-en au contentieux entre nous, lance Dieu sans se retourner.
— Parlons-en si tu y tiens. »
Jésus, sur le quai, met ses bras en croix : « Ça, ça te dit quelque chose ? » Dieu se retourne : « Oh… cette histoire vieille comme Hérode !
— J’ai l’impression que c’était hier, moi. Facile, ta position. On rédige le scénario, on regarde l’écran et on touche les royalties. Facile. Ça, j’sais faire.
— Tu me fais un procès d’intention, constate Dieu qui s’est immobilisé sur l’écume de quelques vaguelettes.
— Faute de mieux… »
Jésus trempe le bout du pied dans l’eau, grimace, hésite une seconde, puis, entrant en lévitation lui aussi, il rejoint Dieu d’un envol rapide, entreprend de marcher à ses côtés sur les eaux.
« D’abord je n’ai pas écrit de scénario, comme tu dis. C’était juste un synopsis, quelques lignes, quoi. Une trame. Les humains pouvaient improviser. De la commedia dell’ arte en quelque sorte.
— De la commedia dell’arte !! s’indigne Jésus, pour ma part, j’eusse préféré qu’il y eût un texte précis et que les figurants s’y tiennent rigoureusement. Qu’ils improvisent pas des conneries ! C’était moi la tête d’affiche et j’étais pas doublé dans les cascades. Bon, le procès encore, je veux bien… Mais la condamnation à mort, le final de l’ascension ! Erreur de dramaturgie ! J’sais pas moi… fallait jouer le suspens, appel, reprocès, cassation, condamnation à perpète, relégation, et puis évasion !! Mouvementée ! C’est pas dur. Poursuites de chars, dérapages, combats… du beau, du grand, du populaire ! Un truc qui frappe, qui fait du bouche-à-oreille…
— Mais la critique…
— La critique, on s’en branle. Elle paye pas ses places. Non… moi je voyais un décor grandiose, la Palestine… pfou ! c’est vachement étriqué. Les Rocheuses plutôt, un truc comme ça… Tu vois ? Je suis là, cerné de toutes parts… les chars romains m’entourent… un grand cercle de chars — on rajoute un pharaon au milieu pour raccorder au biblique de la Saison 1 —, les chevaux sont blancs d’écume… la poussière retombe doucement… je suis immobile, seul, au sein de cette nuée… un grand silence s’installe, troublé seulement par le vent chaud du désert… les boucles de mes cheveux se mêlent à la sueur… gros plan sur mes yeux… plan large sur les chars en 3D… Tu vois ? Moitié Cécil B. de Mille, moitié Cameron… donc le silence est là… les Romains lèvent leurs javelots et soudain… soudain !! Dans la consternation générale ! le ciel s’ouvre… et majestueux… je m’élève !! » De fait, Jésus s’élève d’un bon mètre. « Travelling en plongée sur les romains immobiles et médusés, pauvres mortels condamnés à manger la poussière de ce bas-monde à jamais… et, sur une musique orgue et percus sauce Richard Strauss, s’inscrit le mot The End. Vlan ! Voilà ce qu’il fallait faire. Le blockbuster, le truc fort ! Qui cogne ! Dur ! Qui tient au ventre ! »
Jésus retombe lourdement dans l’eau, s’enfonce jusqu’aux genoux un instant, puis revient à flot comme un bouchon.
« Au lieu de ça, môssieu fait dans l’épure… Môssieu fait du Alain Cavalier, Golgotha tristos, sans moyens… la croix, le sang, la souffrance — tout le monde s’en fout —, le mélo en gros plan, le pathos même pas avant-gardiste. Beurk. Dégueulasse !

Qui aura le dernier mot ? Vous le saurez dans le prochain numéro du Coq. Ceux qui toutefois sont impatients de connaître la suite, peuvent acheter tout de suite « Louvre Story ». Où ? me direz vous, sur amazon.fr par exemple (version brochée et/ou Ebook) ou chez votre libraire préféré.

par Jean-Pierre de Lipowski

On retrouve par ailleurs « Otium » de Jean-Pierre de Lipowski sur le net, un webroman où, selon les dires de l’auteur, il raconte « Sa vie, son œuvre, ses ongles cassés », avec force photos, archives son et vidéos et, accessoirement, humour.

Liens: webroman de J-P Lipowski

Par Jean-Pierre de Lipowski

Par Jean-Pierre de Lipowski

Après des débuts fort peu prometteurs en tant que comédien au café-théâtre dans la troupe du « Vrai Chic Parisien » de Patrick Font et Philippe Val, Jean-Pierre de Lipowski (également identifié par la D.G.S.I. sous le nom de Jean-Pierre Moreau), va sagement orienter son parcours vers la production. Aux côtés de Daniel Colling, il fera partie de l’agence artistique « Ecoute S’il Pleut », sera membre fondateur du festival « Le Printemps de Bourges », attaché de presse et programmateur du « Théâtre de la Gaîté Montparnasse ». Après une année à « Europe 1 » dans l’émission de Michel Lagueyrie « Le Syndrome de ma sœur dans la caravane passe », il s’oriente – par pure vénalité – vers la production télévision. Directeur des productions puis producteur pour une société qui souhaite ici rester anonyme (KM Productions), on le retrouve aux génériques d’une tripotée de productions, tels « L’ouverture de la Coupe du Monde de Football 1998 », « Le Passage à l’An 2000 » en mondovision, « La Nuit des César », « TV Festival de Cannes », chaîne officielle du festival, « La Folle Journée de Nantes » ou encore « One Shot Not », la série musicale de Manu Katché pour Arte. Auteur en parallèle, il signe le roman « La Grande Boulange » (Éditions Presse de la Renaissance) et la rubrique média du Charlie-Hebdo 2.0 (1992), tout en étant dir’com de cette équipe peu recommandable. Désormais replié dans le sud pour une retraite, studieuse mais méritée, il travaille à l’élaboration du long métrage « Pure et simple » dont il est scénariste signe les romans Louvre Story et Histoire à vous couper l'envie d'être pauvre et poursuit au quotidien l’écriture d’un webroman baroque, « Otium », où il offre à l’admiration des foules moult récits sur le thème « Ma vie, mon œuvre, mes ongles cassés »
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