J’ai le blues, brother…

par | 16 Fév 2021

Il n’est jamais trop tard pour s’amender, comme le signalait la banderole derrière les Blues Brothers pendant leur concert en prison. Et c’est donc à mon tour de prendre le chemin de Damas, d’aller à Canossa à pied, de battre ma coulpe avec un bouquet d’orties et de faire mon autocritique. Je suis un horrible raciste spéciste cisgenre mâle hétéronormé réactionnaire et patriarcal. Tiens, c’est pas dur, je suis tellement dégueulasse que si je me croisais dans la rue, je me cracherais au visage, recta, moi, faut pas trop me chercher pour me trouver. C’est une honte d’être à ce point une raclure, un déchet, un rebut de l’humanité. Je suis une telle crapule que non seulement, j’ai honte de moi, mais j’ai aussi honte de ma famille qui ne m’a pas rejeté, de mes amis qui continuent à me voir, de mes commerçants qui acceptent de me servir, et même de mes voisines qui s’astreignent à continuer à me saluer fort civilement alors qu’elles devraient me lapider avec des petits cailloux pointus pour que ça dure plus longtemps.

Enfin, ça, c’était avant. Car j’ai vu la lumière, comme Jake dans l’église de Triple Rock du Père Cleophus James, tiens c’est encore dans les Blues Brothers, faudrait que je le revois. Oui, j’ai reçu l’illumination, pas plus tard qu’il n’y a pas longtemps et depuis, je tente d’amender ma vie afin de rentrer dans les canons et pas seulement ceux de Navarone, ça aussi, c’est un bon film, d’ailleurs. Je ne veux plus être celui qui crée le malaise chez les anfifas, celui qui détonne dans un rassemblement humaniste, celui qui rend triste Camarade Jean-Luc, Benoit 6% et Yannick Plus-vert-qu’Hulk Jadot, non, ça c’est du passé, c’est derrière moi, c’est fini, ni ni ! Dorénavant, je vais me battre pour les vraies causes et défendre les vraies valeurs, en bon soldat du renouveau de la pensée de Gauche. Je dois combattre tous les racismes, surtout celui qui touche ceux qui sont racisés, tous les sexismes, surtout ceux qui parlent de sexe et tous les spécismes de toute espèce pour toutes les espèces. C’est le but de mon existence, à partir de maintenant là tout de suite, plus de temps à perdre. Mais par quoi je vais bien pouvoir commencer ?

Je pourrais défendre le courageux Maire de Trappes, Ali Rabeh, qui pourtant n’est pas en soldes, qui est menacé par Didier Lemaire, un dangereux prof de philo qui tente de détruire cette si jolie ville pacifique et absolument pas gangrénée par le communautarisme rien qu’en parlant d’elle, qu’est-ce qu’il est fourbe celui-là ! Mais déjà heureusement les Triplés de la Vraie Gauche, Camarade Jean-Luc, Benoit 6% et Plus-vert-qu’Hulk se sont portés à son secours, il est sauvé, ce courageux édile qui n’a pas hésité à se rendre dans un milieu hostile, le bahut du méchant prof de philo, pour y prêcher la bonne parole, gloire à lui. Ou alors, je vais soutenir l’ardent combat de ce noble journaliste dont j’ai oublié le nom mais qui s’étonne qu’on dise Mahomet et non pas Mohamed, c’est vrai quoi, c’est grave de mal prononcer un nom, surtout quand dans la langue d’origine on le dit encore différemment, ça c’est du beau combat d’antifas. Mais suis-je légitime, moi, avec mon prénom imprononçable ? Je ferais mieux d’y penser comme le rappelle Aretha Franklin encore dans les Blues Brothers, faut le reconnaître j’aime beaucoup ce film. Pfff, c’est compliqué de trouver une vraie lutte essentielle.

Ah si, ça y est, j’ai trouvé ! Je vais donner des gages d’antispécisme tellement balaises que même Aymeric La-Mini-Vague-Qui-Pense Caron va me prendre dans ses grands bras végans! Pouf, pouf, brrrr, je me chauffe la voix, attention, je commence. C’est un scandale d’avoir appelé l’application de traçage du virus Sars-Cov 2 «Tous anti-Covid» ! Sommes-nous tous obligés d’être anti-Covid? Ne pourrait-on pas d’abord essayer de le comprendre, ce virus, de chercher un terrain d’entente avec lui, de trouver un modus vivendi acceptable pour lui et nous, d’explorer ses motivations profondes, ses envies, ses besoins ? Serait-ce trop demander de chercher à se mettre un instant à sa place ? Car, que veut-il, enfin, le Covid ? Rien de bien spécial, rien de plus que la plupart des organismes vivants, vivre et se reproduire afin de perpétuer l’espèce et franchement, c’est indigne de le condamner pour ça et de pousser toute une population à s’en prendre à lui. Il a aussi le droit à l’existence, après tout, il est aussi un produit de la Nature et tout le monde le sait, la Nature est bonne, par nature.

Bon, ben voilà, c’est fait, ma mutation est presque complète, je suis enfin devenu la personne que j’aurais toujours dû être, conscient des malheurs d’autrui et espérant trouver ma place au sein de la Gauche la plus compassionnelle du monde. Et pour y arriver, comme Jake et Elwood, je vais avoir besoin de vous, vous, vous et vous. En attendant, je vais me revoir les Blues Brothers.

Ça m’évitera au moins d’entendre toutes les conneries de ce qui fut un jour la Gauche.

Come on, oh, baby, don’t you wanna go, back to the same old place, sweet home Chicago…

Par Naqdimon Weil

Par Naqdimon Weil

Naqdimon Weil est rédacteur. Il est aussi chroniqueur. Il est surtout social-démocrate universaliste, laïcard et sioniste. Il est gravement quinquagénaire et profondément provincial. Et, évidemment, il est dans le Coq.
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