La plume en plomb

par | 15 Mar 2022

Cette semaine, de quoi causer ? De cette sale guerre qui continue, encore et encore et qui ravage l’Ukraine ? Du COVID qui revient ? Des sondages de la présidentielle ? Du missile indien tombé par erreur sur le Pakistan ? Des missiles iraniens visant volontairement le Kurdistan irakien ? Ou de ma bite ?

Bon, d’accord, je ne vais pas aborder le dernier sujet, c’est privé et je refuse de faire de la concurrence à Rocco Siffredi, c’est un copain. Voilà, vous avez bien ri, c’était la seule vanne de ce papier, fallait bien que je commence par ça parce que la suite est tout sauf poilante. J’ai beau avoir le neurone à déconne fortement chevillé à la pensarde, j’ai de plus en plus de mal à me fendre sincèrement la gueule ces derniers temps. Parce que rire de tout, c’est bien, mais encore faut-il pouvoir le faire. Et là, moi, j’ai un peu la plume qui se transforme en plomb. Disons le clavier, pour être plus honnête. Car tout m’épuise, tout me fatigue, toutes les postures me navrent, même les miennes, c’est vous dire. Comme le chantait Renaud quand il était encore un jeune con gauchiste antisioniste, je suis fatigué, « Fatigué, fatigué / Fatigué du mensonge et de la vérité (…) / Fatigué de parler, fatigué de me taire (…) / Fatigué d’espérer et fatigué de croire (…) / Je voudrais le silence enfin et puis le vent ».

Je sais bien que le silence est l’allié des cons et des salauds, mais franchement, y a-t-il le pouillème d’un micron d’un iota de chance qu’un seul de mes textes n’ait jamais eu le moindre effet, à part celui de convaincre les convaincus et des faire hausser les épaules des adversaires ? Non, évidemment que non. D’ailleurs, à part un ou deux textes historiques, le plaidoyer pour Callas de Voltaire, le J’accuse de Zola, le I have a dream de King, qui peut se targuer d’avoir fait bouger les choses à l’aide de mots jetés sur un papier ou prononcés publiquement ? Pas grand monde, m’est avis. Et si chaque conscience de Gauche continue à se demander avec Brel pourquoi ont-ils tué Jaurès, la seule chose dont je suis à peu près certain, c’est que tout flamboyant rhétoricien et tribun qu’il fut, il n’aurait pas empêché la guerre de son seul verbe, le Toulousain. Donc, à quoi cela sert-il de parler, hein, franchement ?

Au début, quand j’ai rejoint l’équipe du Coq, il y a huit ans, c’était pour me marrer et tenter de vous faire marrer. Et puis, au fur et à mesure, je sens que je deviens pontifiant, moralisateur, verbeux, bref, chiant. Chiant et pas drôle. Quand on crache sa chronique dans un hebdomadaire satirique, c’est limite un motif de licenciement. Ne pas être poilant dans ce cadre, c’est aller à la partouze avec du bromure, une trahison de l’esprit du lieu. Ça m’emmerde, je dois bien le reconnaître, de ne pas avoir la synapse à déconnade en fonction ces derniers temps. Car il faudrait pouvoir trouver les mots pour rire, non pas des cadavres et des villes détruites ou du patrimoine culturel ravagé, mais du sociopathe du Kremlin et de ses affidés, afin de le ramener à son état naturel de pauvre merde revancharde. Sauf que, et je retombe dans la routine, je n’y crois plus.

Depuis une dizaine de jours, je ferme ma gueule sur Facebook, par fatigue, justement. Mais ça ne m’empêche pas de parcourir le fil d’actualité de mes contemporains. Et ce que j’y lis me navre ou me donne des envies d’ermitage en haut du pic du Midi. Je dégage deux zemmouriens, trois poutinolâtres, quelques relativistes par passage, ça devient chronique. Quand ça ne m’énerve pas, ça me fend le cœur de lire des inepties de la part de gens que je pensais plus raisonnables. Si on est de Droite, tout ce qui est plus à Gauche que Macron est gauchiste, si on est de Gauche, le fascisme commence au PS, Zemmour remporte l’adhésion des bas-du-front et Poutine se découvre des excuses qui font de lui la victime expiatoire de l’agression qu’il mène en Ukraine, Ukraine qui est un pays fourmillant de nazi russophobes, tant qu’on y est. Et je passe sur les textes approximatifs, les fake news, les rumeurs ainsi que sur les pignolades twitteriennes.

Au départ, j’avais prévu de vous causer des vendus, comme Fillon, Le Pen, Depardieu ou Schroeder et des donnés, comme Mélenchon, Royal ou Lalanne, mais à quoi bon, vous êtes assez malin pour avoir relevé la chose vous-même. Pas la peine de s’appesantir un peu plus sur cette bande de pouilleux, ça ne ferait que rajouter à la morosité ambiante et ça ne changerait rien à leur état d’esprit. Donc, je vous laisse ça là, vous en ferez ce que vous en voudrez, moi, je n’ai plus le courage.

Bon, ben, à la prochaine.
Ou pas.

Par Naqdimon Weil

Par Naqdimon Weil

Naqdimon Weil est rédacteur. Il est aussi chroniqueur. Il est surtout social-démocrate universaliste, laïcard et sioniste. Il est gravement quinquagénaire et profondément provincial. Et, évidemment, il est dans le Coq.
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