La solitude du 7 janvier

par | 7 Jan 2024

Depuis les attentats de janvier 2015, j’ai pris la décision de faire paraître le premier numéro du Coq des Bruyères de l’année, le 7 janvier. Une manière de pointer cette date, de la faire résonner pour ne pas écrire raisonner. Un besoin personnel de dire aux lecteurs, aux complices qui participent au Coq, et à qui pourrait tomber dessus par hasard : l’actu c’est aussi cette date. Les intentions peu importe leur force, leur intensité ou leur répercussion ne commencent que par soi.

Ah ! le 7 janvier, rien que d’entendre ce chiffre avec ce mois, rien qu’en y repensant – et j’y repense souvent – la haine me remonte à la gorge. Cette haine, loin de souhaiter l’atténuer, j’espère bien au contraire qu’elle me servira de boussole le plus longtemps possible.

« Ne jamais oublier » c’est ce qu’on se dit. Mais que faudrait-il ne jamais oublier ? Que les islamistes sont des saloperies ? Que les terroristes sont des terroristes ? il y a des vérités plus dures à oublier, non ?
Non, ce que je ne veux pas oublier c’est que le 7 janvier fut perçu comme l’attentat qui ne « nous » vise pas. Si « on » ne travaille pas pour un petit journal satirique, si « on » n’est pas dessinateur, si « on » ne met pas une plume dans le cul de Mahomet, alors « on » ne risque rien.

Lors de l’attentat du 9 janvier dans l’Hypercacher, les victimes n’ont pas compris pourquoi elles étaient visées. Le terroriste islamiste, Amedy Coulibaly, leur a simplement rétorqué « vous êtes Juifs, alors vous savez pourquoi je suis là ». Eh oui, être Juif, cette faute par essence. Comment l’oublier ?
Là encore « on » qui n’était ni dessinateur à Charlie ni Juif, ne s’est pas senti visé.
Il fallut attendre le 13 novembre pour qu’une attaque terroriste islamiste de grande ampleur fasse comprendre à « on » et « nous » qu’ils étaient factuellement visés. Aussitôt, certaines voix se sont fait entendre pour rejeter la faute sur le gouvernement français, et que sans ceci ou cela, « nous » serions en sécurité. L’aveuglement, lui aussi est sans fin. Cet aveuglement, également, je ne veux pas l’oublier.

En marge d’un attentat, d’une attaque, d’un crime, ce qui reste insupportable, c’est la solitude face à ceux qui refusent de reconnaître l’horreur en cherchant toujours à la justifier. Les salauds ne seraient pas complétement des salauds parce que les victimes ne sont pas totalement innocentes. Cette solitude, on la retrouve chez tous ceux qui se battent ou se sont battus contre un totalitarisme.

J’ai appris dernièrement l’existence d’un chanteur et poète, Karel Kryl, sorte de Bob Dylan tchécoslovaque. Kryl a dû fuir son pays après le Printemps de Prague (1968). L’arrivée des chars russes, lui inspira sa plus célèbre chanson Bratříčku zavírej vrátka, (Ferme la porte petit frère). Censuré et menacé, il a vécu en exil durant 20 ans en Allemagne de l’ouest, enregistrant des chansons que ses compatriotes ne pouvaient écouter qu’en cachette.

J’imagine, depuis, ce pauvre homme dépité et en colère par les discours en Allemagne, en France ou en Italie des ouailles du parti communiste vantant les mérites de l’URSS tout en masquant les atrocités de ce totalitarisme que Karel Kryl ne connaissait que trop bien.

Je repense aussi à Charb et Riss, essayant d’alerter l’opinion en 2011 après l’attentat au cocktail molotov ayant détruit les locaux de Charlie Hebdo. Je me rappelle surtout l’indifférence générale, et leur solitude face aux pétitions circulant pour ne pas les soutenir. Ces pétitionnaires de la honte, nous les retrouverons tous en 2015 parmi ceux refusant d’adhérer au petit slogan de solidarité « je suis Charlie ».

Ce que je ne veux jamais oublier, c’est la signature de ceux, de tous ceux qui furent incapables d’être Charlie, et qui n’ont jamais oublié de le dire :
Edwy Plenel, Denis Robert, Michel Warschawski, Plantu, Geluck, le pape François, Siné, Delfeil de Ton, Emmanuel Todd, Danièle Obono, les Indigènes de la République, Dieudonné, Jean-Marie Le Pen et l’extrême droite en général, l’extrême gauche et le NPA en particulier, Nancy Huston, Michael Ondaatje, Francine Prose, Teju Cole, Rachel Kushner, Taiye Selasi, Peter Carey et Virginie Despentes… la liste est trop longue pour être exhaustive.
Elle est aussi symptomatique des courants intellectuels de chacun : La volonté de se démarquer, l’envie de rejeter la faute sur les victimes, de fantasmer les bourreaux, le réflexe de montrer patte blanche… la lâcheté a mille visages pour une même tête de con.  

Nous sommes le 7 janvier, et je souhaite une belle année à ceux qui étaient, sont et resteront Charlie. Les autres peuvent bien aller crever dans leur merde.

Par Anthony Casanova

Par Anthony Casanova

Anthony Casanova est le directeur de publication et le rédacteur en chef du journal satirique Le Coq des Bruyères.
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